Il est délicieux de vivre en Italie, si l'on a la chance d'être un homme. On y peut jouir d'un socialisme de luxe - de ce véritable socialisme qui se fonde sur l'égalité, non des droits ou des revenus, mais des manières. Dans la démocratie du café ou de la rue, le grand problème de notre vie a trouvé une solution : réellement, les hommes sont frères. Mais c'est aux dépens des soeurs.
L'idée vint à Philippe qu'il y avait deux Miss Abbott : celle qui pouvait faire seule le voyage de Monteriano, et celle qui, arrivée là, ne pouvait pas entrer dans la maison de Gino. La découverte était amusante. Laquelle des deux Miss Abbott allait, dans leur partie, jouer le coup suivant ?
Elle se croyait si infiniment supérieure à lui qu'elle négligea, une à une, toutes les occasions d'affermir son empire. Il était beau et indolent; il devait donc être stupide. Il était pauvre : jamais, par suite, il n'oserait critiquer sa bienfaitrice. Il était passionnément amoureux; elle pouvait donc n'agir qu'à sa guise.
Elle a l'esprit bourgeois, je l'admets, elle est d'une ignorance crasse et possède, en art, un goût détestable. Mais posséder un goût, c'est déjà quelque chose. L'Italie la purifiera : elle ennoblit tous ses visiteurs. Elle est, pour le monde, une école autant qu'un jardin.
Le bain du bébé: Miss Abbott, comme toute femme, aimait laver n'importe quoi, a fortiori un objet humain.
Philippe ne soupçonna pas qu’il avait, lui aussi, acquis plus de grâce. Car notre vanité est telle que nous tenons pour immuable notre propre personnage et que nous sommes lents à en reconnaître les variations, même favorables. »