Pour trancher, il faudrait prendre connaissance du rapport du policier qui a dirigé les investigations. Celui-ci, malheureusement, quatorze mois après les faits, ne l'a toujours pas remis au tribunal.
— Comment font ceux de vos clients qui vivent la même chose que moi et qui n'écrivent pas ?
— Ils s'écrivent une maladie. Souvent un cancer.
Ça n'est pas parce que je me sens coupable que je le suis.
Tu te rappelles, l'année où je suis tombée malade, quand je suis restée à la maison pendant un mois ? Je dormais presque tout le temps, sauf à la fin de l'après-midi à ton retour de l'école. Tu apprenais tes leçons, je t'écoutais les réciter à haute voix. C'étaient des déclinaisons grecques. Elles ressemblaient à une chanson, j'aimais ça. Ça me berçait, ça m'apaisait.
— Le nom du juge d'instruction… Vous le connaitrez quand ? Demain, après-demain ?
— Je vous rappelle dans une semaine.
— Une semaine pour un nom ?
— Vous savez, la justice…
Maintenant que j'ai relu ces carnets, je m'aperçois qu'une intention secrète relie ces fragments disparates ou laissés en suspens : j'ai voulu tenir la chronique du silence. Mais au fil des mois, un autre propos, beaucoup plus conscient, a pris le pas sur le premier. Il a commencé à se dessiner le jour où j'ai découvert que la police et la justice m'opposaient le même mutisme que ma famille. L'accablement, à ce moment là, a fait place à la colère.
Trois jours plus tard, je rédige sur mon carnet un texte en forme de déclaration d'intention : "Je vais écrire sur Denise. Écrire pour que la justice se mette à son tour à écrire. Des mots comme "crime", par exemple, au lieu d'"agression" et "meurtre" au lieu de "décès". (p.196)
...en raison d'"un important délai de traitement dû à la surcharge de travail des services spécialisés ayant les compétences nécessaires".
Même techno-langue que dans les TGV lorsque le train s'immobilise en rase campagne. Usagère régulière de la SNCF, je la connais assez pour me livrer à un exercice de traduction simultanée : "on n'est pas sortis de l'auberge." (p.116)
Je me dis : "C'est exactement ce que je vis. On m'a emmurée dans le silence." (p.62)
Ici, comme chaque fois qu'un événement douloureux ou tragique s'était passé dans ma famille, ce fut le rejet, le silence. (p.59)