— Il y a des forces, Lucius, infiniment plus puissantes que la raison et que la science.
—Lesquelles? demanda Cotta.
—L'ignorance et la folie, répondit Aristée.
En ce temps-là le désert était peuplé d'anachorètes.
Ce que nous ignorons n'est pas. A quoi bon nous tourmenter pour un néant ?
Pour moi, Lucius, je pense qu'il n'y a point de bonne forme de gouvernement et qu'on n'en saurait découvrir, puisque les Grecs ingénieux, qui conçurent tant de formes heureuses, ont cherché celle-là sans pouvoir la trouver. A cet égard, tout espoir nous est désormais interdit. On reconnaît à des signes certains que le monde est près de s'abîmer dans l'ignorance et dans la barbarie. Il nous était donné, Lucius, d'assister à l'agonie terrible de la civilisation. De toutes les satisfactions que procuraient l'intelligence, la science et la vertu, il ne nous reste plus que la joie cruelle de nous regarder mourir.
Il n'appartient pas au gouvernement d'imposer des croyances; son devoir est de donner satisfaction à celles qui existent et qui, bonnes ou mauvaises, ont été déterminées par le génie des temps, des lieux et des races. S'il entreprend de les combattre, il se montre révolutionnaire par l'esprit, tyrannique dans ses actes, et il est justement détesté. D'ailleurs, comment s'élever au-dessus des superstitions du vulgaire, sinon en les comprenant et en les tolérant?
Vois: je suis mystérieuse et belle. Aime-moi; épuise
dans mes bras l'amour qui te tourmente.
Que te sert de me
craindre? Tu ne peux m'échapper: je suis la beauté de la
femme.
Où penses-tu me fuir, insensé? Tu retrouveras mon image dans l'éclat des fleurs et dans la grâce des palmiers, dans le vol des colombes, dans les bonds des
gazelles, dans la fuite onduleuse des ruisseaux, dans les
molles clartés de la lune, et, si tu fermes les yeux, tu la
trouveras en toi-même.
Il est mort, mais il a vécu, reprit la voix, et toi, tu mourras,
et tu n'auras pas vécu.
Il était devenu si hideux qu'en passant la main sur son visage, il sentit sa laideur.
Nous aurons beaucoup vécu si nous avons beaucoup senti.
Les ascètes, furieusement assaillis par des légions de
damnés, se défendaient avec l'aide de Dieu et des anges,
au moyen du jeûne, de la pénitence et des macérations.
Parfois, l'aiguillon des désirs charnels les déchirait si
cruellement qu'ils en hurlaient de douleur et que leurs
lamentations répondaient, sous le ciel plein d'étoiles, aux miaulements des hyènes affamées. C'est alors que les
démons se présentaient à eux sous des formes
ravissantes. Car si les démons sont laids en réalité, ils se
revêtent parfois d'une beauté apparente qui empêche de
discerner leur nature intime. Les ascètes de la Thébaïde
virent avec épouvante, dans leur cellule, des images du
plaisir inconnues même aux voluptueux du siècle. Mais,
comme le signe de la croix était sur eux, ils ne
succombaient pas à la tentation, et les esprits immondes,
reprenant leur véritable figure, s'éloignaient dès l'aurore,
pleins de honte et de rage. Il n'était pas rare, à l'aube, de
rencontrer un de ceux-là s'enfuyant tout en larmes, et
répondant à ceux qui l'interrogeaient: «Je pleure et je
gémis, parce qu'un des chrétiens qui habitent ici m'a battu
avec des verges et chassé ignominieusement.»