J'aime les grands espaces de lumière que fait jaillir l'automne. Si quelqu'un partait à pied des granits de la Bretagne et cheminait vers la Haute-Provence, il marcherait en dormant. La France est un doux vallonnement de vaches et de clochers. Brutalement ce marcheur se cognerait aux dentelles de Montmirail, au mont Ventoux ou à la montagne de Lure. Tout le monde se réveille à Malaucène ou à Nyons.
À partir de là c'est un chaos sauvage où ne grimpent que des chèvres d'os, de barbe et de tendons. Un désordre de barres rocheuses, d'éboulis à sangliers, de broussaille, de hameaux sans mémoire, de gorges, d'à-pics, de chemins dévorés par les ronces, de ruines, de ravins, de forêts, de petits cimetières effacés par la mousse, de coups de haches telluriques et de lumineux déserts de lavande et d'amandiers, jusqu'aux gouffres du Verdon, sous l'ombre noire des vautours.
Les gens viennent au bistrot pour ne pas disparaître, avec leur accent, leur colère, leur rire, leur misère, leur anonymat. Ceux qui ne viennent plus vont sur Facebook, ce grand hall de gare où l'on pense trouver des amis qui vous écoutent. Qui écoute l'angoisse des gens qui n'existent pas ?
Un seul pas sous des peupliers d'or... Les mots appartiennent à l'homme qui marche.
Certains seront lassés que je parle encore de ma mère, à mon âge.
Comment ne pas parler de ce qui est si profond, si grand, si indestructible ?
( ... ) parce qu'un libraire ça peut faire peur à certains, une maison de livres, non, chacun s'y sent chez lui.
Quand mon cahier est ouvert je ne pense pas à la mort, mon stylo glisse sur la fine ligne violette et la repousse hors de la page. Il y a trente ans que j'écris tous les matins pour faire tomber la mort de ma table. (p. 73)
Les mots écrits font plus peur que ceux qu'on hurle à la tête des gens, on ne sait pas jusqu'où ils peuvent aller. Ils naissent dans le silence, voyagent dans le silence et peuvent faire s'écrouler soudain des châteaux, des carrières, de belles cités éclairées jusque là par la paix. Souvent ils agrandissent l'amour, apaisent la brûlure des plaies, écartent les destins.
(P119)
J'avais autour de moi des voleurs, des assassins, des trafiquants, des braqueurs, un ou deux vrais dingues, tous avaient fait du mal, beaucoup de mal, et ils ne supportaient plus d'entendre souffrir le petit chat. Peut-être leur ressemblait-il un peu. Un jour ou l'autre ils étaient tous tombés d'un toit et ils attendaient, dans cette cité de fer et de ciment, que quelque chose se passe.
Les enfants ont besoin de belles histoires, de rêve, de tendresse et d'émotion. Ils sont comme nous, ils aiment les mots simples, les gestes simples, les regards solides. Une maison éclairée de mots.
...
Tout ce que je tendais aux enfants, je le recevais en plein cœur. Je recevais toute la douceur de leur émerveillement. Je regardais naître et vivre leurs rêves.
Écrire c'est souffler sur tout ce qui est vivant, c'est embraser le moindre signe de vie, entendre, dans le silence, la voix secrète des choses. Inventer un visage à tout ce qu'on ne voit pas.