Je ne suis jamais descendu jusqu'au lieu des légendes. J'ai toujours abandonné l'étang noir à son miroitement.C'est à peine si j'ai dû suspendre quelques regards au silence de ses eaux.Ce furent alors mes premières fleurs, de celles qu'on jette sur son premier linceul et dont on ne sait pas qu'elles l'enfoncent dans les plis de son mystère, définitivement.
Aussi, quand dans le profil bleu des roseaux, le front de la lune heurte le pays de mes faims, je ne m'étonne plus d'entendre, dans la lumière rasante, comme des pas qui s'éloignent...
J'oublie. C'est ma sourdine.
Extrait
III
C’est entendu. Nos regards ne voient que d’éloigner. Ils veillent. Et c’est entre vent et nuages, le bleu qui nous les rend inquiets. Et parfois si secs qu’on roule en leurs ravins des paroles aussi rauques que les pierres.
C’est entendu. Mais on aimerait certains soirs, quand un peu de lumière encore s’attarde qu’elle se prenne aux quatre coins des vitres et qu’à partir de ces points de traction leur surface soudain se distende. On aimerait que vibrer ce soit s’ouvrir. Et s’envoler.
Ce serait comme au terme d’un grand vol d’air et de feuilles. L’arbre et le ciel s’ouvriraient à leurs oiseaux.
Ce serait juste avant la nuit, le silence et le froid.
Quatrième pas
III
Je prenais le chemin, à voix d'homme. Puis,
parmi les herbes, à odeur de muraille, jusqu'au
torrent.
J'aimais fouler ce qui restait de la justice des
neiges, écorcher mains et genoux à ses rocs
éclatés, où s'étaient encroués tant d'ossements
d'arbres. J'aimais entendre vaciller, derrière moi,
le peu d'eau que l'été consentait au pays. J'aimais
sa rébellion, combat perdu contre les sables.
Marcher avait creusé tant de vide sous mes
pas qu'à peine avais-je atteint le col, l'horreur
de la chute était toute la hauteur du ciel. Ce
vertige toujours me fermait les yeux.
Et je passais la nuit adossé à des pierres...
Quatrième pas
I
Les vents ne tournaient plus sur l'esplanade.
Les fichus noirs des femmes effaçaient les portes.
Le bruit des espagnolettes allumait aux fenêtres
la lassitude des hommes.
C'était l'heure où dans les cheminées on acceptait
le bois mort. Alors une sournoise tendresse
suppurait des maisons. Grisaille sans nom où
auraient perlé, perdues dans ce silence, quelques
gouttes de nuit.
Quatrième pas
II
C'est l'heure où dans les feuillages pourrissants
des tapisseries, dans la vase des miroirs et dans
le suintement fauve des murs, se rouille jusqu'au
sang des enfants.
Dans l'air appauvri du grenier, près du lit,
où je me glissais, entre poussières et larmes,
tremblait une veilleuse, nouée aux fantômes de
mots manquants. J'entrais dans sa lumière timide
comme on ouvre, en cachette, la poterne au
fuyard, sur les exclamations du dehors.
Festival Voix Vives 2022
Sous un même ciel : Alain Freixe
Images et montage : Thibault Grasset
#Poésie #VoixVives #AlainFreixe