Orphelin très jeune, adopté par une famille riche dont il ne s'est jamais senti proche,
Edgar Allan Poe a voué sa vie à la littérature, une quête qui s'apparente à la recherche d'une forme de beauté dans les affres de la mort, le mal, les rêves et le monde tel qu'il le voit.
Mais la consécration s'est fait attendre. En ce XIXème siècle en Amérique, ses oeuvres sombres et morbides sont souvent mal comprises et son tempérament intransigeant est source de conflits.
Sa relation avec le journaliste et célèbre critique Rufus W. Griswold, homme austère et pieux, est pour le moins ambigüe.
Ce dernier n'a cessé de jouer "le double jeu pervers de l'amitié et de la démolition systématique" voyant en
Poe un auteur de génie mais un esprit machiavélique au service du Mal, capable d'altérer par ses écrits « impies et terrifiants » les consciences les plus nobles!
Pour ne rien arranger, l'Amérique se trouve confrontée à une série de crimes horribles dont la mise-en-scène macabre ressemble étrangement à certains écrits de l'artiste, de «
Bérénice » en passant par «
Double assassinat dans la rue Morgue ».
Poe ne tarde pas à découvrir l'identité de cet imitateur criminel.
Il s'agit de Samuel Reynolds, ancien esclave et ami d'enfance de
Poe, qui s'attelle à reproduire dans la réalité les oeuvres les plus funèbres du maître.
Ecartelé entre une critique assassine, un meurtrier bien réel croyant aux pouvoirs prophétiques de ses récits, une femme malade, des soucis financiers et une vie miséreuse,
Edgar Allan Poe noie le peu de lucidité qui lui reste dans des vapeurs d'alcool et meurt en 1849, le nom de Reynolds aux bords des lèvres.
Depuis la parution en 1999 du Valet de
Sade - récit d'un criminel sans état d'âme à la recherche du siège de la douleur - ou celle, plus récente, du Pornographe timide, on connaissait la propension de l'écrivain et scénariste
Nikolaj Frobenius à concocter des oeuvres originales et inattendues servies par un sens inné pour les ambiances singulières dans des univers sombres et baroques.
Après quelques années d'absence sur la scène littéraire, c'est donc avec grand plaisir que l'on retrouve l'auteur norvégien dans ce nouveau roman mettant en scène le grand poète et écrivain
Edgar Allan Poe.
Dans un récit ensorcelant où éléments fictionnels et biographiques se fondent dans les remous d'une Amérique de fange, de boue et de misère où les écrivains, mal considérés, sont trop souvent réduits à l'indigence,
Frobenius se penche sur les peurs intimes d'un des plus fameux précurseurs de littérature à suspense.
De Philadelphie à Baltimore en passant par Richmond ou New-York, on suit donc le douloureux cheminement d'un artiste en mal de reconnaissance, angoissé par la totale méprise que ses oeuvres inspirent à des lecteurs comme Griswold ou Reynolds, la confusion entre oeuvre et personnalité chez l'un, et la fusion entre fiction et réalité chez l'autre.
La biographie romancée de
Frobenius se lit alors comme une sorte de réflexion sur le pouvoir de l'écrit et son écho dans le monde réel.
En liant ces trois destinés, l'auteur de "
Je est ailleurs" renoue avec ce qui avait séduit son public, à savoir les notes du plus pur thriller dans un récit biographique de haute volée.
Poe, Griswold, Reynolds, trois hommes épris de littérature, trois consciences aussi ferventes qu'égarées, trois âmes violentes pour un récit captivant entre fiction et réalité.