L'été des apparences
A 39 ans, Frances est une jeune femme discrète et timide, passionnée d'architecture. Elle écrit des articles pour d'obscures revues spécialisées et est recrutée par un milliardaire américain qui vient d'acheter un domaine dans la campagne anglaise afin d'y recenser les éléments remarquables du jardin -orangerie, fabrique, serre- et surtout un pont qui pourrait bien être un pont palladien.
Frances débarque donc à Lyntons avec ses deux valises et d'autre ambition que celle de rédiger un rapport illustré de quelques aquarelles pour son employeur. Sa vieille mère aigrie et tyrannique vient de mourir, Frances est célibataire, vielle-fille même, et elle se sent -presque- libre. Quelle n'est pas sa surprise de découvrir qu'elle n'est pas la seule occupante du manoir délabré qui a subit les outrages du temps et de la guerre ! Ses colocataires sont un couple, Cara et Peter, à mille lieues de l'univers étriqué de Frances. Nous sommes en 1969.
Contre toute attente, Frances va se laisser peu à peu apprivoiser par Cara et Peter, en faire leur amie mais aussi le témoin de leurs scènes de ménage, et la confidente de Cara. Pourtant rien ne semblait devoir rapprocher la vieille fille grasse sinon grosse, engoncée dans la gaine de sa mère et dans ses principes, de la "fougueuse, piquante et envoutante" Cara et du séduisant Peter.
La construction de ce roman est remarquable. A l'instar d'une tragédie (et c'en est une), il se déroule en un lieu (presque) unique -Lyntons- et avec quatre personnages : Frances bien sûr, Victor le vicaire iconoclaste de la paroisse, Cara la flamboyante, Cara l'Irlandaise qui voulait être Italienne et Peter son compagnon, un peu falot, un peu escroc...
Tout au long de ces quatre semaines d'août 1969, dans ce domaine abandonné à la flore et à la faune, écrasé d'une chaleur moite, un drame se noue entre ces quatre personnages.
Aucune innocence dans le roman de
Claire Fuller : Lyntons le domaine magnifique en apparence est rongé par le temps, Frances elle-même espionne l'intimité des deux amants par un judas qui donne sur la salle de bains du couple, Cara qui raconte son histoire à Frances, son histoire ou une histoire ? et Peter, qui fait croire à Frances qu'elle pourrait être l'une des leurs...
En donnant la parole à Frances, trente ans plus tard, alors qu'elle est au seuil de la mort, l'auteur met au jour les doutes et les illusions qui l'ont bercée au moment où elle découvrait une certaine liberté et nous fait ressentir cette atmosphère lourde de secrets. A Lyntons, la chaleur se mêle à la passion, jusqu'à la folie, jusqu'à la fin, bouleversante.
Un roman très réussi.