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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'ombre portée de Caïn

Dans “La plage de Scheveningen” de Paul Gadenne, je ne puis oublier les personnages de clair-obscur que sont Irène et Guillaume : ces deux êtres esseulés qui cherchent une langue commune pour ne pas choir dans la nuit de la parole.

Au-dessus de cet ouvrage plane l'ombre portée de la figure de Caïn, au travers du personnage de Hersent (double littéraire de Robert Brasillach). Irène et Guillaume sont en quête d'une impossible réponse concernant l'action de collaboration du personnage de Hersent (Brasillach), et ne peuvent pour autant hurler avec la meute. Ils savent trop à quel point il n'est pas de chose plus difficile que de condamner un homme.

La vision de Paul Gadenne n'est pas tant pessimiste que terriblement lucide (au sens étymologique de ce mot : “brillant”, et de ce fait éclairant sur la nature humaine). Gadenne creuse au sein des relations entre les êtres : il donne à voir l'infranchissable tranchée qui nous sépare tous les uns des autres.

Son livre entier est une sorte de “plaidoirie” : le personnage de Guillaume recherche Irène parce qu'il estime qu'elle l'a mal jugé ; Guillaume et Irène s'interrogent sur la légitimité de la justice française à condamner à mort le personnage de Hersent (Brasillach) ; sans parler du magistral monologue de Caïn à la fin du livre où les mots semblent littéralement vomir une bile noire sur le blanc du papier. D'ailleurs, ce n'est pas innocemment que Paul Gadenne a placé en exergue au seuil de son livre, cette phrase que Caïn dit à Dieu dans la Genèse : « Quiconque me trouvera, me tuera. » La justice des hommes ne convainc pas Paul Gadenne.

Caïn (autrement dit l'homme) ne peut accepter ceci : à savoir que « le vent souffle où il veut ».
Et si l'offrande de son bûcher n'est pas dûment reconnue, alors il n'aura de cesse d'avoir brûlé tous ses frères humains dans le noir brasier de sa folie destructrice.
Peut-être n'avons-nous inventé notre faible représentation humaine du Créateur de toutes choses que pour nous chercher en fait une excuse au mal que nous faisons : une manière de nous exempter de nos propres fautes. Orgueilleux que nous sommes, nous avons soif de détruire ce que nous n'avons pu créer de nos propres mains.
Depuis la Nuit des Temps, nous ne cessons de perpétuer « le Temps de la Nuit », comme pour mieux voiler la lumière vivante du soleil, éclabousser de sang son ardent visage de sel.

Paul Gadenne / Guillaume Arnoult ne veut pas juger un homme, même s'il ne soutient pas son action. C'est cette prise de position qui est la plus troublante et la plus noble au sein d'une époque où l'on condamnait à tour de bras, coupables et innocents mélangés. Gadenne écrira d'ailleurs une lettre à Robert Brasillach… qu'il ne lui enverra jamais.

Ce livre de Paul Gadenne est au fond comme un douloureux écho aux mots prononcés par le Fils de l'Homme sur sa croix de douleurs. Car notre lot commun est de ne jamais vraiment savoir pleinement ce que nous faisons ni même pourquoi nous le faisons. Et qui pourra bien nous pardonner cela ? Dans ce procès métaphysique, nous sommes juge et partie.

À présent, j'aimerais livrer aux lecteurs de ces lignes, un passage du roman, dans lequel Guillaume / Gadenne et Hersent / Brasillach s'entretiennent avec passion de questions métaphysiques, non loin d'un cimetière :
« – Tu m'excuseras, dit Arnoult, mais même si tu me prouvais en ce moment que l'homme est seul… Oui, néant pour néant, je préfère le néant complet… Si je ne puis compter sur une pensée juste, aimante, connaissant la raison intime de mes faits et gestes, en somme sur la mémoire de Dieu, eh bien, je préfère ne compter sur rien, j'abandonne à l'instant toute prétention, je ne veux pas être autre chose qu'une poussière à la surface d'une poussière, – cette poussière d'astres que du moins j'aurai passionnément aimée. Si ces hommes devant nous n'ont pu compter au moment de mourir sur la mémoire de Dieu, ces noms et ces dates sur leurs tombes sont de trop, ils nous mentent, ils troublent inutilement notre néant. Et ces tombes elles-mêmes sont de trop ! Si le monde continue à être ce qu'il est, Hersent, nous n'aurons plus besoin de cimetières, plus besoin d'aligner des tombes. Nous referons des charniers. (…)
– Solitude pour solitude, reprit-il devant le silence d'Hersent, celle de l'humanité entière prise dans le cours de son histoire ne vaut pas mieux que celle d'un homme pris en particulier. Accepterais-tu de passer ta vie dans une prison ? de passer ta vie sans témoin ?... Sans l'espoir d'un témoin, d'un regard sur toi, tu meurs ; et tous les gestes, les pensées de ce prisonnier qu'est chacun de nous ne vont qu'à invoquer, à susciter un témoin hors des murs entre lesquels nous vivons, et quelquefois hors de notre époque. Sans quoi on ne s'apercevrait même plus qu'on est en prison, hein, et il n'y aurait pas de différence entre la vie et la mort. le bourreau qui viendrait nous appeler au petit matin, qu'est-ce qu'il changerait à notre sort ? Rien. Absolument rien. Une fourmi écrasée, voilà ce que ce serait. Quelque chose de si accablant, de si inexistant qu'il n'y aurait même pas de quoi crier. Si l'humanité sait qu'elle vit sans témoin, elle est à elle-même sa prison. Nous sommes tous prisonniers, Hersent, dans ta perspective. Si Dieu n'existe pas, comprends donc, il faut le faire exister. » Paul Gadenne (in “La plage de Scheveningen”, p. 176-178)

Thibault Marconnet
03/08/2014
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Gadenne, un immense écrivain oublié

http://www.denecessitevertu.fr/
Lien : http://www.denecessitevertu...
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Tout est subtilement suggère dans ce livre ou nous suivons la narration déroutante dont le chemin n'est pas trace d'avance et ou les émotions et personnages ont le flou des motifs du tableau dont il s'inspire et dont l'évocation surgit au hasard,une merveilleuse lecture
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L'intrigue est difficile à comprendre et tortueuse, mais pourtant très profonde. On ne la découvre que peu à peu à travers les souvenirs, souvent tronqués, du personnage principal. C'est l'histoire de retrouvailles entre amants séparés pendant ou juste avant la guerre.
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