Cormoran Strike, tome 2 : Le ver à soie

Strike s'était toujours demandé pourquoi le public avait tendance à considérer les gens célèbres comme des saints, alors même que les journaux les éreintaient, les traquaient, les traînaient dans la boue. Peu importait le nombre de stars convaincues de viol ou de meurtre, la croyance populaire persistait : Non, pas lui, il n'aurait jamais fait ça. Il est célèbre.

La BSI exigeait de ses officiers qu’ils classent les données recueillies selon une grille préétablie - individus, lieux, objets... Cette méthode rigoureuse avait fait ses preuves. En général, Strike s’efforçait de la respecter mais, là, il préférait ne pas montrer à ses interlocuteurs qu’il rangeait leurs déclarations dans des boîtes mentales. Quand on interrogeait des personnes convaincues qu’elles vous rendaient service en acceptant de vous parler, il fallait adopter d’autres techniques.

Un immense tapis de neige se déroulait sur la Grande-Bretagne.Aux informations du matin,on voyait le nord-est de l'Angleterre déjà enfoui sous une couche blanche et poudreuse ,des voitures coincées sur les routes comme des moutons égarés, les faisceaux des phares perçant difficilement le rideau immaculé. Londres attendait son tour en lorgnant le ciel toujours plus menaçant. Tout en s'habillant, Strike jetait des coups d'oeil sur le bulletin météo et se demandait s'il pourrait se rendre dans le Devon le lendemain en voiture.A supposer que la M5 soit encore ouverte à la circulation.Bien que déterminé à rencontrer Daniel Chard, dont l'invitation l'intriguait,il redoutait de conduire avec une jambe dans un tel état même une voiture automatique.

Depuis que Robin était arrivée, alors qu'il était au trente-sixième dessous, Strike ressentait à son égard un peu plus que de la reconnaissance.

Non seulement Leonora trouvait tout naturel que son mari se moque d'elle mais elle semblait attendre que cela amuse Strike, fière, comme certaines mères, des impertinences de leur progéniture.

Il resta à sa table de travail jusque tard dans la nuit, à relire les notes qu'ils avait prises durant les interrogatoires, à examiner une fois de plus les photos imprimées à partir de son téléphone. On aurait dit que le corps mutilé de Quine lui lançait des appels silencieux, comme font souvent les cadavres. Il demandait justice, il criait grâce.

Nous sommes tous sujets à l’erreur, monsieur ; si vous admettez cela, plus ample excuse est inutile.

p 13 : " Physiquement, rien ne distinguait Strike des armoires à glace qui entraient ou sortaient du café à grand bruit. Un colosse brun, aux cheveux épais, bouclés et courts, le front bombé et légèrement dégarni, le nez épaté et les sourcils broussailleux d'un boxeur."

p 167 : "En résolvant l'affaire Lula Landry il avait paraît-il humilié la police qui, de son côté, était resté braquée sur la thèse du suicide. Non, il n'était pas parano ; il avait bien remarqué l'attitude de la policière aux cheveux courts qui venait de quitter la pièce, elle était déterminé à lui en faire baver. (...) S'ils croyaient que cela le dérangeait, ils se trompaient."

p 307 : "Il contourna le véhicule pour ouvrir la portière côté passager. Robin se garda de lui proposer un coup de main ; elle sentait autour de lui une zone d'exclusion, comme si par la seule force de l'esprit Strike rejetait toute assistance, toute expression de compassion. Mais parviendrait-il à monter en voiture par ses propres moyens ? Strike jeta ses béquilles sur la banquette arrière, resta un moment en équilibre précaire sur une jambe puis, démontrant qu'il possédait une force peu commune au niveau du torse et des bras - ce que Robin ignorait - se hissa, sans encombre sur son siège."

A part quelques fouille-merde comme Dominic Culpepper qui venaient ranimer les sempiternelles interrogations du public, presque plus personne aujourd'hui ne faisait le lien entre l'ancien soldat mal embouché et le vieux rocker sur le retour. Les rares fois où cela arrivait encore, les gens s'imaginaient aussitôt des fonds fiduciaires, des pensions mirobolantes, des jets privés, des salons VIP, des cadeaux somptueux. Et quand ils découvraient avec stupéfaction que Strike tirait le diable par la queue et devait se tuer au travail pour gagner sa vie, ils se demandaient ce qu'il avait bien pu faire pour que son père le renie. Feignait-il la pauvreté pour mieux soutirer de l'argent à Rokeby ? Où étaient passés les millions que sa mère avait sûrement extorqués à son richissisme amant ?

En fait, c'était la seule femme qui le prenait comme il était. Toutes celles qui étaient passées dans sa vie avaient tenté de corriger ses défauts, comme si cette volonté de vous rendre meilleur était une preuve d'amour.