Jeanne d'Arc : Jeune fille de France brûlée vive

Elle suivait donc la coutume qui voulait qu'on dorme nue dans le lit de son hôtesse, et les deux femmes bavardaient et priaient ensemble.

Il y avait neuf jours, le samedi 13 août, alors que nous étions aux côtés du roi, sur les hauteurs de Dammartin, j'avais vu Jeanne tendre le bras, montrer dans les brumes de chaleur le sommet d'une butte qui surplombait à l'horizon la vallée de la Seine. On pouvait au fur et à mesure que la brume se dissipait apercevoir les larges ailes des moulins à vent de Montmartre, car c'était bien cette butte qui surgissait dans un halo.

"Vous faites séduire et abuser le peuple ignorant et vous vous aidez de gens superstitieux et réprouvés, comme d'une femme désordonnée et diffamée, étant en habits d'homme et de gouverneur dissolu, et aussi d'un frère mendiant apostat et séditieux, tous deux, selon la Sainte Écriture, abominables à Dieu".

Ainsi, nous cheminions, incertains et divisés, sous les orages de plein été qui crevaient. Ils achevaient de dévaster les champs déjà ravagés par les bandes d'hommes en armes, et abandonnés par les paysans. On ne cultivait plus. On se terrait, craignant d'être fait prisonnier par une bande de routiers, et qu'ils fussent bourguignons ou armagnacs, c'était toujours malheur pour le paysan.

Lorsque je l'ai vue, ce dimanche 17 juillet, chevaucher au côté du roi, absente au monde pour éprouver plus intensément ces heures, j'ai compris qu'elle savait qu'il s'agissait des instants les plus miraculeux de sa vie, son "ascension", mais qu'ils seraient brefs, qu'elle devait ne pas laisser les yeux et l'âme vagabonder, mais au contraire s'unir dans une prière murmurée.

J'ai su que Jeanne était la proie de noirs pressentiments, que peut-être les voix célestes ne lui indiquaient plus la route à suivre, après le sacre.
Jeanne devait s'interroger sur ce qui surviendrait une fois le sacre accompli.
Elle avait, depuis la levée du siège d'Orléans, découvert comme moi avec quelle prudence humaine se comportait le roi.
Si les voix célestes ne lui confiaient pas une autre mission, que pèseraient ses avis et sa vie ?

Je pardonnerai sans réserve tout ce qui fut fait au temps passé.

Dans notre cœur de fidèles du roi de France, le nom de Troyes était une blessure ouverte.
Le traité signé là, alors que Charles VI était fol, s'était conclu en 1420 par l'accession au trône de France du futur roi d'Angleterre, cet Henri VI issu de l'union entre son père Henri V et la fille de Charles VI, Catherine de France.
Troyes était le nom de notre souffrance et cette ville riche de ses marchands, de ses tisseurs, de ses teinturiers, forte de six cents hommes d'armes, de ses murs hauts et massifs, se voulait bourguignonne et anglaise.
Comment lui faire reconnaître pour son seigneur le roi de France ?

Les uns pensaient au siège de la ville, à sa conquête et, déjà imaginant le butin, leurs babines frémissaient. D'autres pensaient qu'il fallait seulement l'effrayer et surtout lui promettre et lui garantir qu'elle serait épargnée, que l'armée royale ne forcerait ni portes, ni coffres, ni femmes.

J'ai beaucoup appris durant les trois jours que nous passâmes sous les murs d'Auxerre.
J'écoutais Jeanne qui ne cessait d'inciter le roi à prendre la ville. Charles, attentif, la tête penchée, esquissait un sourire bienveillant, mais il s'éloignait et nous apprenions qu'il avait envoyé des messagers à l'évêque d'Auxerre, aux douze jurés élus par les habitants, et ces autorités répondaient qu'elles étaient prêtes à un arrangement acceptable, qui permettrait de conclure une trêve.

Elle prétendait avoir remporté toutes les victoires à Orléans, à Jargeau, à Beaugency, à Patay, alors qu'elle avait seulement brandi et agité son étendard, sans jamais donner de la lance ou du glaive, trouer une poitrine ou fendre une tête.