Et tout pour moi, ma vie, la vie, la guerre, l'Histoire, était roman, entrecroisements d'aventures individuelles.
Les fils, un jour, condamnent leurs pères et se détournent d’eux, c’est la loi de l’espèce.
Puis les fils comprennent. Ils sont rongés par les remords, mais les pères s’en sont allés.
Heureux si, dans un cimetière, il reste une dalle gravée à leur nom devant laquelle les fils repentants peuvent se recueillir.
-La volonté, mon fils, la volonté!
Ce ne sont pas les portes qui résistent à celui qui veut les briser, mais ce sont les hommes qui n’ont pas la volonté, le courage, l’obstination de pousser jusqu’à ce qu’elles cèdent. C’est si facile d’abandonner, de dire ‘il destino’. Ton destin, tu le fais. Les portes, tu les forces.
J’avais découvert dans l’un des carnets de Mathilde une citation de Saint Bernard, qui me révélait l’exigence qui avait dû être au coeur de la brève vie de ma fille :
« Que chacun donc s’efforce de ne pas être en dissidence avec soi-même », avait-elle recopié d’une écriture encore enfantine.
J’avais voulu aussitôt que telle soit ma ligne de vie.
« De ton propre effort, fais toi-même la rémunération de ta vie », écrivait Clémenceau.
Et l’angoisse me déchirait de ses griffes noires. Le temps d’un livre, j’avais été Mietek, puis Martin. J’avais défié la mort, et j’avais dénoncé ses carnages, exalté le courage de vivre.
J’avais peur qu’elle ne se venge, qu’elle ne me réserve le même sort que celui qu’elle avait choisi pour Martin.
Elle m’épargnerait et s’emparerait de ce que j’avais de plus cher.
Vie pour vie.
Je m’interrogeais, en l’écoutant, sur la place qu’il accordait à la liberté de choix des hommes, à leurs passions.
Je ne pouvais accepter que l’homme soit enfermé dans le carcan des classes sociales, je le voulais « libre » de ses choix.
C’est ma vie qui était en cause, moi qui refaisais le « destin » que me dictaient mes origines.
Je ne me contentais pas de ramasser des balles de tennis. Je désirais, jusqu’à l’obsession, participer au jeu, combattre et vaincre sur le court. Et même Furet me paraissait ne pas accorder assez de place à cette libre volonté des hommes.
To the Child
Of my century
Who lives and dies
Every day.
In my heart.
Mathilde s'était donné la mort. Donné ? La mort l'avait prise pour se venger de moi.
Je m'interrogeais : et si chaque homme portait un drame, cette tunique de douleurs qui lui collait à la peau ; que la plupart cherchaient à dissimuler et qui tout à coup apparaissait, emprisonnant l'âme et le corps ?