Dieu n'interdit pas à un roi de jouir des femmes qu'il a créées, des jeux qu'il a permis.
C’est donc cela le peuple ! Menaçant puis adulant, et toujours versatile et dangereux.
Louis reste un instant debout près de la table où joue Mme de Montespan.
Elle est toujours majestueuse, mais ses formes, après une dernière grossesse, et la naissance d’un fils, légitimé sous le nom de comte de Toulouse, deviennent lourdes. Le visage s’empâte. Elle a perdu de sa grâce.
Elle cède souvent à la colère. Elle est impérieuse, acerbe, peu respectueuse de la reine. Et il a dû lui rappeler à plusieurs reprises qu’elle doit honorer Marie-Thérèse.
— Souvenez-vous madame, qu’elle est votre maîtresse.
Mais Athénaïs de Montespan est une de Rochechouart de Mortemart, qu’aucune noblesse ne peut impressionner.
Il la regarde. Elle perd en trois passes sept cent mille livres. Elle se tourne vers lui, le défiant du regard, sachant bien qu’il paiera ses dettes. Elle veut tenter de combler ses pertes par une mise de cinquante mille livres. Et elle regagne les sommes perdues. Elle se lève, si lourde qu’elle en chancelle.
Elle va s’asseoir pour le souper, engloutir avec excès viandes et sucreries.
Il éprouve pour la première fois, à l’observer, un sentiment de lassitude, presque de répulsion.
Il s’éloigne. Marie-Angélique de Fontanges doit l’attendre dans ses appartements reculés du château.
Il s’y rend d’un pas lent.
En cette année 1678 qui s’achève, il vient d’avoir quarante ans. Même pour un roi, la vie passe.
Quatrième partie
Chapitre 55
— Je voudrais qu’il fût toujours nuit car, quoique je ne puisse dormir, le silence et la solitude me plaisent, parce que dans le jour je ne vois que des gens qui me trahissent.
Première partie
Chapitre 7
Un roi ne doit jamais se livrer. Il doit faire du silence et du secret ses lois.
Un héros n’est qu’un voleur qui fait à la tête d’une armée ce que les larrons font tout seuls.
Il a vingt-trois ans.
Il aime chaque jour davantage le corps des femmes. Il aperçoit, sur le bord de la route qui mène de Fontainebleau à Paris, une paysanne, bras nus, le col de la blouse échancré. Il fait arrêter le carrosse. Il descend, s’approche.
Il est le roi.
Toutes elles se soumettent et il les désire toutes : paysannes ou filles de jardinier, femmes de chambre, dames d’honneur de la reine mère ou suivantes de son épouse Marie-Thérèse.
Louis aime cette comédie qu'est la Cour.
Les acteurs sont à ses ordres et c'est lui qui les dirige, qui conçoit le ballet réglé de l'étiquette et le décor.
Il tente encore de résister à ce besoin qu’il a de revoir Athénaïs de Montespan.
Il veut se convaincre que Bossuet et les dévots ont raison de le mettre en garde contre ce désir adultère qui attire sur le royaume les foudres de Dieu.
Il est sensible aux confidences de Mme de Maintenon.
Louis contemple, jour après jour de fête, ces grands qui reconnaissent qu’il est le Soleil auquel ils doivent leur éclat.
Il est satisfait.
Il veut que la Cour, le royaume soient à l’image de cette fête où il a dansé, le corps léger et agile, où il a dans ses vêtements tissés de fil d’or et d’argent défilé, chevauché, remporté la victoire dans ces tournois et où il a rassemblé autour de lui tout ce que le royaume compte de grands. Et il a vu dans le regard des femmes l’attente. Mais il n’a été le chevalier servant que de Louise de La Vallière, veillant à ne blesser ni sa mère, ni son épouse.