Le temps guérit peu la perte de ceux que l'on a aimés.
Car la vie des gens est imprévisible, il y survient tant de drames et de mystères. La vie des gens est pleine de bruit et de fureur. Y plonger comme au fond du puits peut déclencher des cris de joie, ou des larmes, réveiller des courroux, des haines. Déclencher des coups de feu et de couteau.
On ne souffre qu'à proportion du mal qu'on se fait, à titre personnel, ou de celui qu'on laisse aux autres le droit de nous faire. L'espace de souffrance qu'on leur concède. Qui est aussi celui de l'amour.
La vie est fatale, elle est périssable, c'est d'un grand ennui. Je m'en console par cette possession (d'objets d'art) toute provisoire. Car la beauté reste. Pour peu que nous la reconnaissions, elle est notre éternité. Le dépassement de notre condition mortelle est dans l'art.
Toute maison garde mémoire de ceux qui y ont vécu, les vivants et les morts. Les morts plus encore, sans doute, eux qui ne sont plus là pour effacer ou corriger les traces de leur passage et dont la présence fantomatique persiste, en dépit de l'oubli.
La vieille femme buvait enfin son café, debout, les deux mains autour du bol. Ce n'était pas tant la chaleur de la boisson, qu'elle aimait, ni son effet roboratif, qui la réconfortaient, que de tenir ferme cette forme ronde et robuste dans ses paumes, ce solide bol rustique dont la faïence s'écaillait en fin réseau capillaire, aux bords usés doux à ses lèvres, et dont le compagnonnage quotidien était devenu une partie d'elle-même, de ces objets prosaïques qui, sans qu'on puisse démêler quelle affinité les assigne à recueillir le passé, sont plus attachants qu'une demeure, plus émouvants qu'une caresse, et font de leur substance grossière une matière plus précieuse qu'une pierre rare.
L'émerveillement du premier amour donnait tant de force, tant d'empire sur le monde et sur soi, galvanisait la puissance, dévastatrice, de la volonté.
Les hommes cherchent toujours à donner une figure à l'horreur, mais celle-ci est toujours en deçà de la réalité.
Comme les choses arrivent soudainement, quand vous n'attendez plus rien. Comme est clément le hasard de l'existence, parfois.
Gabrielle n'avait jamais assisté à quelque chose d'aussi bizarre que la visite de ce petit homme hors d'âge, qui laissait derrière lui une odeur tenace, celle des pourritures de la terre, des humus gras poudrés de moisissure qu'on respire sous les champignons, odeur de mollusque ou de grenouille, de narcisse ou d'iris fraîchement arraché au fossé, une odeur de griotte, de résine ou d'encens ? Je divague, se disait Gabrielle : une odeur de sainteté ? On dit que des saints émane cette odeur surnaturelle de fleurs, ou de miel sauvage, qui fait peur…