Le concours Babel x Dialogues se poursuit ! C'est au tour de Laure, Julien et Michaël de vous confier leur favori de la collection Babel.
Laure Leurs enfants après eux, de Nicolas Mathieu
https://www.librairiedialogues.fr/livre/17066094-leurs-enfants-apres-eux-roman-nicolas-mathieu-actes-sud
Michaël Dans la main du diable d'Anne-Marie Garat
https://www.librairiedialogues.fr/livre/486925-dans-la-main-du-diable-roman-anne-marie-garat-actes-sud
Julien le Turquetto de Metin Arditi
https://www.librairiedialogues.fr/livre/4053698-le-turquetto-metin-arditi-actes-sud
Pour participer : retrouvez une table dédiée au concours au rayon Poche de la librairie, mais aussi en ligne sur notre site ! Lisez le plus de livres possibles de la sélection, et votez pour vos 3 favoris soit en nous donnant le bulletin mis à disposition, soit en nous envoyant votre palmarès par mail : reservation@librairiedialogues.fr ! Un·e participant·e sera tiré·e au sort et remportera une valise de livres Babel ! On nous dit dans l'oreillette que d'autres surprises pourraient avoir lieu...
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Peirone n'est pas portée sur l'alcool, moi non plus, on en sert assez au zinc. De la bière surtout, il s'en débite par packs entiers, le pauvre monde se console comme il peut. On ne la voit pas mais la mouise, la vraie, c'est le lot de beaucoup par ici, retraites de misère, manque d'emploi, chômage et, dans les vignes, travail de chien sous-payé, d'autant que la plupart sont sans papiers, le bon truc pour les patrons. débarqués d'un bus direct sur un parking pour une saison de vendanges, ils n'ont que leur barda, rien où dormir, se laver, ni syndicat ni rien pour les renseigner, ensuite ils se fondent dans le décor, se planquent où ils peuvent.
Soit, la conjoncture n'est pas formidable. L'usine Ford est mal barrée à Blanquefort, davantage encore de chômage et, comme le subodorait Peirone, Trump a été élu président. Celui de Russie rempile, celui du Brésil ouvre la chasse aux Amérindiens, aux homosexuels, le joufflu Coréen du Nord est aussi gentil garçon que son collègue syrien, la bête immonde se réveille en Europe, un boys band d'ogres et de nabots s'amuse aux manettes de la PlayStation mondiale, quels périls sont-ils promis à nos petits lapins.
La vacance du temps est un piège redoutable. Rarement nous y confronte le courant des jours strictement quadrillés de leur emploi, souvent très fallacieuse contrainte mais efficace pour s'éviter de gamberger, de piquer une tête dans le vide sidéral de notre raison d'être, des motifs que nous avons de poursuivre nos dérisoires agitations, périls et peines encourus, et jeux perdus en toute vanité pascalienne. Quel malheur de ne savoir demeurer en repos dans une chambre, de n'y chercher que toutes les feintes possibles pour y échapper.

En ce moment, Bambi, les nôtres (nos enfants) respirent le grand air du Médoc
- quelle horreur, le département le plus pollué de France ! Tu les as vus en tenue de cosmonautes pulvériser leur glyphosate dans les vignes jusqu'au ras des maisons, des écoles, les mouflets du secteur en ont plein les cheveux. Ils contaminent un max les sols et les eaux, jusqu'au traitement des piquets à l'arséniate de cuivre, un poison violent dispersé dans l'atmosphère. ces toxiques bousillent les neurones, surtout chez les enfants ; syndromes neurodégénératifs, perturbations endocriniennes, cancers, et sache que c'est totale omerta dans la région. Les grands propriétaires font le black-out sur les analyses, les expertises : des suppôts de Bayer-Monsanto, lobbying & Cie, et la presse locale fait le mort. Il faut des Cash Investigation à la télé pour alerter un peu ceux qui la regardent encore, mais crois pas demain la veille qu'ils se mettront au bio. Je te parle même pas de la centrale nucléaire du Blayais, une des plus vieilles de France : tu sais ce qu'elle crache de temps en temps dans l'eau ou dans l'air ?
Trois semaines de promiscuité sous les tentes par une chaleur caniculaire, de fumeux jeux de piste, de parties de volley-ball ou de ping-pong, les baignades et les coups de soleil, la camaraderie forcée avec une bande d'ados de mon âge, les papotages, les chicaneries, les fous rires et les méchancetés de petites femelles, le partage d'une intimité qui nous mettait mal à l'aise sous les douches collectives, et toujours l'une, plus effrontée, dessalée disait-on, pour afficher sa nudité par bravade, moquant la pudibonderie des dindes, dont j'étais, qui répugnaient à l'imiter et dans quelle détresse découvrais-je mes premières règles.
Le temps guérit peu la perte de ceux que l'on a aimés.
Car la vie des gens est imprévisible, il y survient tant de drames et de mystères. La vie des gens est pleine de bruit et de fureur. Y plonger comme au fond du puits peut déclencher des cris de joie, ou des larmes, réveiller des courroux, des haines. Déclencher des coups de feu et de couteau.
La vieille femme buvait enfin son café, debout, les deux mains autour du bol. Ce n'était pas tant la chaleur de la boisson, qu'elle aimait, ni son effet roboratif, qui la réconfortaient, que de tenir ferme cette forme ronde et robuste dans ses paumes, ce solide bol rustique dont la faïence s'écaillait en fin réseau capillaire, aux bords usés doux à ses lèvres, et dont le compagnonnage quotidien était devenu une partie d'elle-même, de ces objets prosaïques qui, sans qu'on puisse démêler quelle affinité les assigne à recueillir le passé, sont plus attachants qu'une demeure, plus émouvants qu'une caresse, et font de leur substance grossière une matière plus précieuse qu'une pierre rare.
La vie est fatale, elle est périssable, c'est d'un grand ennui. Je m'en console par cette possession (d'objets d'art) toute provisoire. Car la beauté reste. Pour peu que nous la reconnaissions, elle est notre éternité. Le dépassement de notre condition mortelle est dans l'art.
Toute maison garde mémoire de ceux qui y ont vécu, les vivants et les morts. Les morts plus encore, sans doute, eux qui ne sont plus là pour effacer ou corriger les traces de leur passage et dont la présence fantomatique persiste, en dépit de l'oubli.