AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les oiseaux morts de l'Amérique (27)

Au début il se disait que c’était une ville qui puait aux narines, mais pas uniquement : aussi aux yeux et à la morale et à l’entendement. Il y avait ceux qui comme lui faisaient la manche, assis ou debout, immobiles, silencieux, brandissant leurs cartons qui indiquaient souvent qu’ils étaient d’anciens marines, devant les panneaux lumineux des spectacles débiles : les Chicanos qui distribuaient tous les dix mètres des cartes de fille à poil pour des spectacles de strip-tease plus ou moins cheap ; les blonds à brushing, les gros types à casquette, les obèses, les groupes d’Australiens, de Français, de Russes, de Chinois qui défilaient un verre ou une bouteille à la main ; les filles bunnies genre Playboy à moitié nues qui se gelaient les soirs d’automne ou d’hiver en attendant qu’un touriste vienne se faire prendre en photo entre elles. Les musiques dégorgeaient sur les trottoirs, se chevauchaient pour lui sauter dessus, sans discernement. Les casinos étaient toujours pleins, le boulevard aussi. Les gens se bousculaient sans se voit, ivres souvent, rigolards, extravertis et bavards.
Telle est la misère de notre monde, se disait-il alors, l’immense déprime, le royaume du factice, du vide et du désespoir monnayé.
Et puis il s’y était habitué.
Commenter  J’apprécie          201
Cette absence de tout, ce silence massif, ce ciel un peu trop mauve, le souvenir de la jeune femme tousse, des deux enfants à vélo, la Chevrolet grenat … Il se demanda si, à son insu cette fois, il n’avait pas fait un saut dans le temps, et basculé sans le savoir de l’autre côté. Depuis ses incursions dans le printemps de son enfance, se dit-il en souriant intérieurement, il avait peut-être activé un mécanisme temporel permettant de brefs surgissements d’une réalité dans une autre. Peut-être la scène à laquelle il avait assisté la veille, avec cette jeune femme répondant au prénom de Maureen qui grimpait dans une Toyota verte, n’avait-elle pas eu lieu la veille mais quarante ans plus tôt, et il avait été le seul à la voir – le seul qui pût la voir. Peut-être alors était-ce vraiment Maureen qu’il avait aperçue, Maureen venue passer un week-end à Las Vegas avec son mari un jour de 1968 ou 1970. Peut-être la ville était-elle à présent truffée d’intersections entre passé et présent, de filons dans la niche temporelle qui ne demandaient qu’à être forées.
Commenter  J’apprécie          150
Le temps est une pâtisserie
C'est la conscience qu'on en a: du passé au futur. Maintenant, imagine que tu replies la pâte sur elle-même, une fois, deux fois, dix fois, pour en faire une pâte à millefeuille. Des points initialement très éloignés les uns des autres vont se chevaucher – mais nous, nous continuerons à n'avoir conscience que de la pâte toute simple, étale, que l'on parcourt d'un point A à un point B. Si tu transperces de part en part la pâte ainsi repliée, tu feras se rejoindre entre eux deux. trois, dix points qui au départ étaient très éloignés les uns des autres et qui le demeurent, selon une conception simplement linéaire de la pâte. C'est ce qui s’est passé. Tous les mystiques ne le diront: le temps est plié, mais on n’en a conscience que dans certains états d’illumination, ou de transe. En ce qui te concerne, un point situé aujourd‘hui s’est trouvé en relation avec un autre situé au même endroit quarante ans plus tôt. Tu étais là au bon moment.
Hoyt hocha la tête. Enfin, conclut Myers, c’est ma façon de voir.
Commenter  J’apprécie          130
Lorsque Myers et McMulligan parlaient de leur expérience de marines en irak, Stapleton constatait que rien n'avait changé. C'était toujours la même merde : des jeunes types utilisés, transformés en assassins bouffés de trouille, traumatisés à vie, qui avaient eu la chance de s'en sortir en un seul morceau et qu'on avait pour certains d'entre eux laissé tomber, sans pension, sans rien. Il se sentait proche d'eux mais depuis quelque temps ne leur parlait plus, ou presque plus.Non qu'il s'en méfiât, ou qu'il les méprisât. Leurs rapports étaient cordiaux, fondés sur le respect mutuel et l'entraide. Simplement, se disait-il, parler reviendrait inévitablement à remettre sur le tapis toujours les mêmes horreurs, les mêmes rancoeurs, à comparer leurs expériences, à aggraver amertume et dépit. A quoi bon. A cela il préférait les vertus du silence, ou de la parole rare. (p. 15)
Commenter  J’apprécie          70
Las Vegas, se disait-il, ou du moins cette partie-là du boulevard, pouvait tenir tout entière dans cet amalgame d’odeurs écœurantes et sucrées qui l’agrippaient aux narines et à la gorge dès qu’il passait devant les portes des gigantesques hôtels-casinos, répliques de New-York, Paris, Louxor ou Venise, avec tour Eiffel, canaux et palais des Doges, Sphinx et pyramide, et lui donnaient une furieuse envie de vomir. Une ou deux fois d’ailleurs il s’était éclipsé dans une rue perpendiculaire – étrange, avait-il noté au tout début, comme il suffisait de quelques mètres pour sortir du décor et atteindre une sorte d’arrière-monde obscur et neutre, gris, banal, alors que tout près le show lumineux et bruyant ne s’interrompait jamais – et avait rendu ses tripes.
Commenter  J’apprécie          60
La véritable nature du monde résidait dans l invisible, pensait il confusément, là oú sont les sentiments, les émotions et la comprehension muette des choses.
Commenter  J’apprécie          30
C’était le début de mai. Depuis un mois Hoyt se bornait à visiter le printemps 1950 et avait cessé toute incursion dans le futur. Il y était allé si souvent. Et où qu’il se rendît, quels que soient le siècle ou l’année, c’était toujours la même désolation : catastrophes écologiques, humanitaires, nucléaires, populations déportées, parquées, guerres technologiques incessantes, violences urbaines, renforcement des lois sécuritaires, paysages dévastés, zones urbaines saccagées, inégalités toujours plus criantes, crispations des identités, obscurantisme religieux (…). Il ne voulait plus voir ça.
Commenter  J’apprécie          30
... estimant probablement qu'une femme sans homme était une femme pour tous les hommes...p119
Commenter  J’apprécie          20
Je pourrais peut-être le garder, pensa Hoyt en continuant de jouer avec le chiot.
Mais il n'osait pas encore prononcer les mots. Prononcer les mots, c'était définir une réalité. Après, plus moyen de revenir en arrière.
- Hoyt, cria une voix, ça alors, qu'est-ce que tu fous là ?
Hoyt leva les yeux vers l'entrée du motel. C'était Gollum, qui avançait vers lui en boitillant. Petit, maigre, et un peu tordu, il avait les traits creusés et le regard vague. Il semblait un peu trop jovial.
- Ben... rien de spécial, et toi ? répondit Hoyt en évitant soigneusement de le nommer. Il ne connaissait pas son vrai nom, et Lottie Mae avait dit qu'il ne voulait plus qu'on l'appelle Gollum. Inutile de se le mettre à dos : il était un peu fêlé, tout le monde savait ça.
Commenter  J’apprécie          10
... il ne pouvait conclure qu'à la nécessaire méfiance envers les souvenirs quels qu'ils fussent, se doutant que certains étaient amplifiés ou modifiés tandis que d'autres disparaissaient corps et bien dans le puits sombre de la mémoire.
Commenter  J’apprécie          10






    Lecteurs (121) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quelle guerre ?

    Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

    la guerre hispano américaine
    la guerre d'indépendance américaine
    la guerre de sécession
    la guerre des pâtissiers

    12 questions
    3202 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

    {* *}