Citations sur De sang et de lumière (65)
Khorshak
Pour Vous,
Hommes,
Femmes,
Troupeaux humains,
Blottis,
Écrasés,
Nous vous porterons encore,
Même si cela nous casse le dos.
Petites gens qui auraient pu devenir destin,
Familles entières qui n'ont connu que l'appétit sans fin
Et le harcèlement des jours.
Il n'y aura de prière
Que celle
Que j'invente.
Je la prends du fond des âges.
Je l'embrasse,
Lui murmure ce que j'ai vu.
Il n'y aura pas de prière
Que celle que je nomme :
Khorshak.
Je la veux rauque,
Je la veux épaisse comme les voix anciennes,
Et ample comme les montagnes du début des temps.
Khorshak,
Prière des peuples,
Pour les vies trop vite avalées.
Le temps de naître,
D'avoir faim,
De chercher à vivre
Et puis
Plus rien.
Extrait "Khorshak" (p.14)
Et de partout sortent les souvenirs,
Cris,
Chants,
Appels de la mère à l'enfant,
Promesses,
Noms des dieux,
Des villages,
De partout,
La mémoire qui rayonne,
Douloureuse mais fière
Qui dit simplement qu'ils ont été
– Hommes et femmes écrasés, coupés, soumis –
Et qu'ils resteront invaincus,
Malgré le fouet et les chaînes,
Malgré leur vie de coton,
Et les douleurs d'exil,
Invaincus
Car c'est l'arbre qui se tord,
Rétrécit,
Regardez…
Et d'un coup,
A nos pieds,
S'enflamme,
Laissant s'échapper,
Enfin,
Au-dessus de nos têtes,
Vaste comme un ciel réconcilié,
Les noms qu'il avait volés.
Extrait "Le chant des sept tours" (p.39)
Tu es Solange.
Fille de la ville.
Tu marches lentement.
Tu es partout chez toi,
Reine en ces rues qui ne te salissent plus d'aucune poussière.
Tu es Solange.
Tout est à toi qui n'a rien.
Et pourquoi pas la joie ?
J'ai dans les yeux ce Sud
Que je n'ai plus jamais cessé d'aimer, de contempler,
Ce Sud qui m'est étranger
Et m'enivre.
Je viens de terres où je suis étranger,
De terres où je ne suis pas né,
Dont je ne parle pas la langue,
Et qui sont miennes,
Pourtant,
Parce qu'aimées.
Ils retrouveront l'arbre de l'oubli.
Ils le saisiront par les branches et l'arracheront,
Puis,
En tournant lentement le poignet,
Ils le planteront en terre,
Racines en l'air.
Et tous alors verrons qu'elles sont rouge sang,
Pourries de vermine.
Mais du moins avez-vous existé,
Notre-Dame-des-Jungles,
Et cela ne sera pas oublié.
Je m'arrête là,
Sans entrer dans l'église.
J'ai poussé la bâche qui sert de porte.
J'ai vu les tapis propres,
Les petites lumières, chiches, mais joliment agencées,
J'ai vu l'autel où vous déposez vos espoirs.
Je n'entre pas, ne passe pas le seuil,
Car je ne suis pas un des vôtres
Mais je dépose dans le sable mouillé par la pluie
Les mots que j'ai en moi.
Ci-gît la France qui n'a pas le courage de ses valeur.
Ci-gît l'Europe et mon âme
D'avoir vu votre misère.
Ci-gît un peu de l'homme d'où qu'il soit,
Car en ces terres le mot "frère" a été oublié.
Et lorsque les pelleteuses auront fait place nette,
Lorsqu'elles auront piétiné ce que vous avez patiemment construit,
Elles s'apercevront peut-être,
Mais trop tard,
Que ce sur quoi elles roulent,
Ce qu'elles tassent,
Et font disparaître,
C'est notre dignité.
[Notre-Dame-des-Jungles]
Nous sommes plus vieux que le monde et pourtant jamais tout à fait nés.
Un jour - et ce jour approche -
Kurde ne sera plus le nom de l'exil
Ni de la résistance,
Kurde sera le nom d'un pays.
Il sera beau
Si nous gardons
Le souvenir de nos exils
Comme une règle de partage.
Nous serons Kurdes de sang versé
Kurdes
Comme une promesse à honorer.
[Si jamais un jour tu nais]
Seul le vent est chez lui, ici,
Qui s'empare de nos vies
Et les fait tourner,
Sans arrêt,
Lentement.
Seul le vent,
Les hommes, eux,
Ne sont rien.
[Seul le vent]