AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782290400852
288 pages
J'ai lu (06/03/2024)
3.9/5   1593 notes
Résumé :
Au lendemain d'une fusillade à Naples, Matteo voit s'effondrer toute raison d'être. Son petit garçon est mort. Sa femme, Giuliana, disparaît. Lui-même s'enfonce dans la solitude et, nuit après nuit, à bord de son taxi vide, parcourt sans raison les rues de la ville.

Mais, un soir, il laisse monter en voiture une cliente étrange qui, pour paiement de sa course, lui offre à boire dans un minuscule café. Matteo y fera la connaissance du patron, Garibaldo... >Voir plus
Que lire après La porte des enfersVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (212) Voir plus Ajouter une critique
3,9

sur 1593 notes
Voici un livre d'amour et de violence, de vie et de mort, de souffrance et de rédemption …
Livre fort, lourd de tout l'inconscient collectif, de toutes les peines humaines, de tous les liens qui nous attachent, nous, êtres humains.

Accompagner le héros de l'histoire aux Enfers, ça ne m'arrive pas tous les jours et forcément, ça laisse une trace.
Matteo veut accomplir la supplique insensée de sa femme Giuliana : ramener leur enfant mort de là où il croupit. Celle-ci ne rend pas compte de ce qu'elle demande ! Car l'Enfer est digne de nos pires représentations : le labyrinthe souterrain, la porte de bronze, le fleuve des âmes en peine, la spirale vers le Néant. C'est tout à fait « l'Enfer » de Dante !
Moi-même me suis sentie aspirée, je m'anéantissais au fur et à mesure de la lecture, mais c'est pour mieux revivre. Accompagnée pendant cette lecture (et encore après !) du cortège de mes morts, je suis ressortie de ce livre soulagée et heureuse de vivre.
Je quitte peu à peu cet habit de souffrance que j'ai revêtu tout au long des pages et je ne pense plus qu'à l'amour qui peut faire accomplir des miracles. Oui, je sais, c'est le plus éculé des clichés, mais il s'agit bien de ça, ici. Cette histoire est traversée de part et d'autre par un amour violent, celui d'une mère et d'un père pour leur enfant.

Poignant, ténébreux et lumineux, fort de cette force qui gronde en nous, fleuve souterrain qui coule en l'Homme depuis la nuit des temps, ce roman, « La porte des Enfers », s'est refermé avec un bruit de tonnerre qui m'ébranlera encore longtemps.
Commenter  J’apprécie          12812
L'année 2016 se referme en douceur avec une belle découverte, celle de Laurent Gaudé.
J'avais été ébloui avec " le soleil des Scorta ", un doux mélange d'odeurs et de chaleur. " La porte des enfers" c'est un autre décor, on a quitté la région des Pouilles, on se retrouve à Naples, le soleil a disparu laissant la place au crépuscule et aux ténèbres. Nous sommes dans les années 80, Matteo accompagne son fils Pippo à l'école, soudain une balle perdue atteint l'enfant de 6ans.
Pour Matteo et Giuliana c'est la descente en enfer qui commence.
" La porte des enfers" est un voyage difficile à travers le chagrin, c'est le récit magnifique d'un père et d'un fils.
Laurent Gaudé nous parle si bien de l'amour filial et de la séparation, on se sent happé par ses mots, on ne peut que penser à nos disparus, ce fut le cas pour moi à travers ces deux citations prisent dans le roman.
" La porte des enfer m'a profondément ému, mais quel magnifique roman.
bonne année à vous tous
Commenter  J’apprécie          9913
Et si ...
Et si Pippo n'était pas le fils de Giuliana et de Matteo .
S'il était ton gamin , ce petit qui sait , à peine , faire pipi tout seul . Celui dont tu serres la main , ce matin , pour courir plus vite car vous êtes terriblement en retard ; l'école risque de fermer ses portes aux traînards .
Soudain , il s'écroule à tes pieds . Une balle effrénée , illégitime , s'est plantée dans son corps si menu; son sang s'est mit à couler ; son coeur s'est arrêté ; l'éclat de ses yeux noirs a disparu .
Ton enfant , cette partie , la plus importante de toi-même , a cessé d'exister .
On l'a assassiné !
Pourquoi ?
Pourquoi lui ?

Mais Pippo est bien le fils chéri des " de Nittis " .
Des personnes , simples et honnêtes , qui vivent dans le courage et la foi , malgré la criminalité qui éclabousse " Napoli " cette ville de mafiosi où l'honneur et la vengeance s'associent à de nombreux habitants .

Comment un Napolitain peut-il annoncer à la " mamma " que leur fils unique , le sang de leur sang , le souffle de leur vie , s'est envolé vers le Paradis , parce qu'il était au mauvais endroit au mauvais moment ; que la la balle qui l'a massacré était destinée à un truand ?

Un jour , les larmes de Giuliana ont fini par se tarir pour révéler des orbites vides , sans âme , de vraies soeurs du néant .
Dans un dernier instant de lucidité , elle a imploré son mari : " Rends-moi mon fils , Matteo . Rends-le-moi , ou , si tu ne peux pas , donne-moi au moins celui qui l'a tué ! " .

Matteo est brave mais il n'est pas un meurtrier .
Doit-il renoncer à la vendetta et partir à la recherche de son gosse ?
Car si sa femme adorée perd de plus en plus la tête , il n'en est pas loin , lui aussi . Il vit dans les ténèbres de la nuit , à bord de son taxi , arpentant les chemins sombres de la cité .
Telle une chauve-souris , ce pauvre hère se gare dans des endroits bizarres que fréquentent surtout des marginaux . Il les discerne péniblement jusqu'à cette minute où surgit Grâce , une habituée des jeux sordides de la chair fraîche .
" A l'église Santa Maria del Purgatorio , s'il vous plaît ... Spaccanapoli . "
" Dépêchez-vous , je dois me confesser " .
Il est quatre heures du matin !

Il va l'attendre comme on attend le Messie !
Cette " Grâce " , au sexe indéfini , l'intrigue . Avec le temps , Ce personnage croustillant va devenir une amie et remplacer sa mère , dans ce café où se tiennent compagnie quelques soiffards , amateurs de vin italien ,bien sûr .

" Toi , tu as besoin d'un café , d'un vrai . Un de ceux qui remettent à l'endroit . Est-ce que tu sais que Garibaldo a le don de faire n'importe quel café ? " .

Et si ...
Le café de Garibaldo , un peu trafiqué , un peu stupéfiant , amélioré aux paroles mielleuses du professeur Provolone ajoutait un certain pouvoir à la crédulité de notre boniface ?
En plus de ce lieu ténébreux , magique qu'est le " Vésuve " avec ses pentes d'ombres qui se fendent pour ouvrir "la porte des Enfers " vers le Feu Eternel " !
Qui sait quelle douce lumière et quel amour se dégageraient de toutes ces âmes parties avec un peu de nous-mêmes , pour y accompagner Matteo à la recherche de Pippo ?

Plus je pénètre dans le monde de Laurent Gaudé ,plus je suis impressionnée , comme envoûtée par son écriture imagée , rapide comme " un sortilège de transfert " à la Harry Potter , à la limite des ombres et des lumières .
Quel maître ! Quel poète !
Commenter  J’apprécie          7420
C'est mon premier livre de Laurent Gaudé et je suis conquise . Quelle belle écriture, quelle sensibilité !
Le roman commence par la mort tragique en 1980 de Pippo six ans, dans les rues de Naples.
La façon dont Matteo, le père et Giuliana, la mère "gèrent" ce deuil est décrit avec pudeur et force. Puis nous passons en 2002 lorsque Pippo revient des enfers pour se venge. OUi, le roman bascule alors dans une fable. Mais quelle fable !, c'est bouleversant.
Lorsque Mattéo et Don Mazerotti nous emmènent en enfer, nous sommes happés par les ombres qui restent "vivantes" tant que ceux du monde des vivants pensent à eux.
Ici , la frontière entre la vie et la mort est fine, troublante et décrite avec poésie et force.
La fin est très émouvante!!! Merci Monsieur Gaudé !
Commenter  J’apprécie          838
Laurent Gaudé est un auteur français que j'affectionne particulièrement.

J'ai acheté ce livre il y a quelques années maintenant, après une visite du Musée Rodin où j'avais été complètement absorbée par l'immense porte de l'Enfer de l'artiste. Ce chef d'oeuvre devait initialement décorer la façade du musée d'Arts décoratifs et traduire la vision de l'Enfer de Dante Alighieri.
La seconde raison qui m'avait fait choisir ce livre parmi tant d'autres est mon attirance pour la mythologie, le titre me rappelant un de mes récits préférés, celui d'Orphée descendant aux Enfers pour sauver sa femme Eurydice.

« La porte des Enfers » est ancrée dans la réalité d'aujourd'hui et a pour toile de fond Naples mais l'univers antique donne le charme de l'ancien.
Laurent Gaudé explore les grands thèmes de la tragédie classique, à savoir, la vie et l'après-vie, la perte et le deuil, la culpabilité et la vengeance, l'héroïsme et le sacrifice, le pardon et la rédemption.

*
Dès les toutes premières pages, je me suis détachée de la réalité, je me suis abandonnée à ce récit ancré dans une réalité contemporaine. J'étais au côté du petit Pippo et de son père Matteo, courant dans les rues napolitaines pour arriver à l'heure à l'école. Je sentais le drame, là, tout proche, imperceptible, angoissant, et pourtant inévitable.
Le destin est parfois si injuste, si révoltant. Si Mattéo avait ralenti pour laisser Pippo reprendre son souffle, si Mattéo avait choisi de l'emmener en voiture, s'ils étaient partis à l'heure, si … , si … , il n'aurait suffi que de quelques secondes pour éviter le drame, mais Pippo n'atteindra jamais les portes de son école.

« Je suis pliée en deux sur cette dalle de marbre et je bave de rage. Maudite soit-elle cette pierre que je n'ai pas choisie et qui recouvre désormais pour l'éternité mon enfant. J'embrasse tout cela du regard et je crache par terre. Je ne viendrai plus jamais ici. Je ne déposerai aucune couronne. Je n'arroserai aucune fleur et ne ferai plus jamais aucune prière. Il n'y aura pas de recueillement. Je ne parlerai pas à cette pierre, tête basse, avec l'air résigné des veuves de guerre. Je ne viendrai plus jamais parce qu'il n'y a rien ici. Pippo n'est pas là. Je maudis tous ceux qui ont pleuré autour de moi croyant que c'est ce qu'il fallait faire en pareille occasion. Je sais, moi, et je le redis : Pippo n'est pas là. »

Avez-vous déjà ressenti cette impression étrange que le monde continuait à tourner, à avancer autour de vous, vivant, joyeux, insouciant, totalement inconscient de votre immense peine ?
Avez-vous déjà ressenti que vous ne faisiez plus parti de ce monde, qu'il vous avait rejeté pour vous catapulter dans un monde hors du temps, irréel, figé, vous laissant démuni, perdu, vide et seul au bord du chemin ?
Je ne peux imaginer la douleur de perdre un enfant, mais lire ce roman a été une lecture éprouvante et sombre. La peine de ces deux parents m'a rappelé mes peines et ceux que j'ai perdus.

« En disparaissant, les morts emportent un peu de nous-mêmes. Chaque deuil nous tue. Nous en avons tous fait l'expérience. Il y a une joie, une fraicheur qui s'estompe au fur et à mesure que les deuils s'accumulent... Nous mourons chaque fois un peu plus en perdant ceux qui nous entourent... »

*
Pour Mattéo et sa femme Giuliana, la vie a perdu tout sens, la mort de leur unique enfant a marqué le début d'une longue descente aux enfers. Entre eux, l'absence du petit garçon, le vide qu'il a laissé, crée un gouffre que plus rien ne peut combler et détruit leur relation.

« Ils ne pouvaient plus rien l'un pour l'autre, que s'écorcher de leur présence commune, de leurs souvenirs douloureux et de leurs pleurs secrets. »

Laurent Gaudé restitue avec beaucoup de force et d'émotions, la douleur que peuvent ressentir des parents en deuil de leur enfant.
Chacun vit son chagrin de manière différente : Matteo, chauffeur de taxi, aux prises avec un sentiment de honte, a choisi le silence de la nuit, conduisant sans but, sans passagers, dans les ruelles sombres de Naples.
Le coeur de Giuliana s'est arrêté de battre, il se noie dans la solitude, la douleur, la haine et les souvenirs d'une vie heureuse. Au bord de la folie, elle réclame vengeance, demandant à son mari le meurtrier de son enfant, ou que Pippo lui soit rendu.

*
Une nuit, une femme étrange monte dans le taxi de Matteo, sans lui laisser le temps de refuser la course. Elle demande à être déposée devant le parvis d'une église. Pour paiement de sa course, elle l'invite à commander ce qu'il veut dans le café d'en face, le début d'un voyage dantesque dans la cité des morts.

“Pourquoi disiez-vous que la vie et la mort étaient plus imbriquées qu'on ne le pense ?” demanda-t-il après un temps.
Le professore se passa la main sur le visage, sourit avec douceur et répondit :
“Parce que c'est vrai… La société d'aujourd'hui, rationaliste et sèche, ne jure que par l'imperméabilité de toute frontière mais il n'y a rien de plus faux… On n'est pas mort ou vivant. En aucune manière… C'est infiniment plus compliqué. Tout se confond et se superpose… Les Anciens le savaient… le monde des vivants et celui des morts se chevauchent. Il existe des ponts, des intersections, des zones troubles… Nous avons simplement désappris à le voir et à le sentir…”

C'est à partir de ce moment-là que le récit va prendre une nouvelle dimension, nous emportant dans un univers où des passerelles existent entre le monde des vivants et le royaume des morts. Déterminé à retrouver Pippo, Mattéo va franchir une de ces portes et descendre dans le monde souterrain pour arracher son fils des griffes de la mort. C'est un voyage étrange, terrifiant qui demande du courage, de l'abnégation, mais la force de son amour est telle qu'il avance, sans se retourner.

J'ai accompagné Mattéo dans l'Au-Delà.
La vision de Laurent Gaudé est lugubre, cauchemardesque, emplie de gémissements et de cris apeurés. Les descriptions des limbes sont impressionnantes, peuplées de visages défigurés et tourmentés, d'ombres pressantes et plaintives. On a l'impression d'entrer dans les tableaux de Jérôme Bosch, mais il se dégage également une atmosphère fascinante et mystérieuse qui donne envie de poursuivre sa lecture, de franchir les obstacles pour retrouver l'enfant et le sauver de ce monde terrifiant.

*
L'imaginaire romanesque de Laurent Gaudé rassemble tout ce que j'aime dans ce récit : une écriture poétique d'une incroyable justesse qui trouve un parfait équilibre entre réalité et imaginaire, regrets et vengeance, amour et deuil, lumière et ténèbres, douceur et force.

Entre récit épique, voyage initiatique, conte fantastique et univers mythologique, la voix de l'auteur combine passé et présent, y insérant une dose de réalisme magique.
Il nous livre un roman aussi envoûtant qu'émouvant, aussi profond que captivant. Les mots de l'auteur, entre amour et douleur, remords et rédemption, silence et colère, désir de se faire justice et rédemption, mettent les émotions à vif.

« Chaque mort, en disparaissant, emmène avec lui un peu des vivants qui l'entourent."

J'aime la puissance évocatrice de Laurent Gaudé : ses mots sont comme un torrent tumultueux et puissant qui dévale les pentes d'une montagne. Ils bondissent, se fracassent contre les rochers, se jettent à l'assaut des rapides.

Mais s'il s'agit d'une histoire sur la perte et le deuil, il s'agit aussi d'une magnifique histoire d'amour.
Cet amour maternel est si douloureux qu'elle choisit le silence des souvenirs.
Cet amour paternel est si beau, si puissant qu'il transcende tous les obstacles.
Et le récit, peuplé d'ombres et d'une tristesse infinie au départ, se paillette alors de petits éclats de lumière au fil du récit. Les mots empruntent des sentiers plus calmes, et même si la douleur est toujours présente, le récit est porteur de vie, d'espoir et d'apaisement.

*
Laurent Gaudé a créé de très beaux personnages, en particulier Pippo et ses parents. J'ai eu une affection particulière pour ce père remarquablement dépeint, sa douleur qui ne l'éteint pas, mais au contraire le magnifie.

*
Pour conclure, « La porte des enfers » nous plonge dans un univers troublant, fort en émotions.
C'est une oeuvre d'une beauté ténébreuse qui nous renvoie à l'inéluctabilité de la mort, nous rappelle la fragilité de la vie et l'importance de vivre chaque instant pour ne rien regretter.
C'est une lecture immersive, éprouvante, fascinante, inattendue mais l'écriture de Laurent Gaudé a su la rendre intense et émouvante.
Commenter  J’apprécie          6040


critiques presse (1)
Lecturejeune
01 décembre 2008
Lecture jeune, n°128 - Dans une rue de Naples, le fils de Matteo et de Giuliana meurt sous les balles d’une bande mafieuse. Dès lors, la soif de vengeance prend possession de ses parents et détruit leur vie. Dans les ruelles envahies par les ordures et saccagées par les secousses telluriques, d’étranges personnages se croisent et s’allient pour que la vengeance s’accomplisse. Rien ne peut arrêter le désir d’extermination du père qui, comme Orphée, ose pénétrer au royaume des ombres pour en arracher son fils. Et la folie emporte la mère dont rien n’apaise la douleur.
Ce récit sanglant et visionnaire modernise magistralement le mythe antique des Enfers. Le lecteur progresse dans la découverte d’une réalité monstrueuse où alternent récits à la première et à la troisième personne, temps présent et lointain passé. Ce choix narratif habile nous entraîne dans le royaume des morts, cet univers de ténèbres et de souffrances, qui donne des frissons d’épouvante.
Colette Broutin
Lire la critique sur le site : Lecturejeune
Citations et extraits (164) Voir plus Ajouter une citation
Son fils allait rester là, enterré dans ce cimetière. Sa vie de mère était terminée.
Elle colla son front contre la vitre et dit adieu aux mille choses qui faisaient Pippo. Son école. Sa chambre à coucher. Ses vêtements, ceux qu'il aimait, ceux qu'il ne mettait jamais. Elle dit adieu à la joie de se promener avec lui, au contact ténu de sa main dans la sienne. Elle dit adieu à son angoisse de mère qui s'était emparée d'elle dès la grossesse et n'aurait jamais dû la quitter de toute sa vie.
Une dernière fois, elle était avec lui. Une dernière fois, elle l'extrayait du marbre froid de sa tombe pour le faire rire en son esprit. Il était là. Il jouait avec elle. Il l'appelait en courant. Elle ferma les yeux pour que plus rien ne les entoure et qu'elle soit toute à lui.
A la gare de Naples, elle rit une dernière fois avec son fils. Elle savait qu'il n'y en aurait pas d'autre et elle essaya de faire durer le plus longtemps possible son dernier sourire de mère;
(...)
Je sais, au fond de moi-même, que j'ai eu une mère, mais je l'ai chassée. Je me souviens d'elle. Si je fais un effort, je me souviens d'un temps où elle était là, autour de moi, avec une odeur sucrée de bonheur. Et puis, du jour au lendemain, il n'y eut plus rien. La mère était partie. Elle a abandonné son fils. Je me souviens de cela, du vide qui m'a saisi d'un coup. Elle n'a plus pensé à moi. En une seconde. (...) A l'instant où j'avais le plus besoin d'elle, elle s'est dérobée. Quelle mère peut faire cela?
Longtemps, je l'ai sentie, luttant contre l'idée de ma mort, et puis elle a disparu. Elle n'a plus jamais pensé à moi. Quelle mère peut faire cela? Elle est partie. Elle a banni mon nom, le souvenir de mon existence et je suis resté boiteux de ma mère.(...)
Je n'ai pas de mère. Je n'ai pas de mère qui ait pensé à moi comme on pense à son enfant. Mais il reste ce mot,qui se répète à l'infini, ce mot entêtant qui me fait mal. Ma mère.
Commenter  J’apprécie          380
Je te maudis, Matteo. Comme les autres. Car tu ne vaux pas mieux. Le monde est lâche qui laisse les enfants mourir et les pères trembler. Je te maudis parce que tu n’as pas tiré. Qu’est-ce qui t’a fait hésiter ? Un bruit inattendu ? La silhouette d’un passant au loin ? Le regard suppliant de Cullaccio ? Tu as dû réfléchir alors qu’il fallait te faire sourd à tout ce qui t’entourait. Les balles ne pensent pas, Matteo. Tu avais accepté d’être ma balle. Je te maudis car durant toutes ces années tu t’es tenu à mes côtés avec discrétion et constance – mais tu n’as rien pu empêcher, ni rien réparé. A quoi sers-tu, Matteo ? Je comptais sur ta force. Le jour de l’enterrement, tu me tenais serrée pour que je ne flanche pas. Tu as toujours pensé qu’il y avait une sorte de gloire à traverser les moments de douleur avec stoïcisme et retenue. Moi pas, Matteo. Cela m’était égal. Le plus juste aurait été que je me jette sur le cercueil et que j’en arrache les planches avec mes doigts. Le plus juste aurait été que mes jambes se dérobent et que je me vide de toute l’eau de mon corps en pleurant, en crachant, en reniflant comme une bête. Tu m’as empêchée de faire cela parce qu’il y a là quelque chose que tu ne peux pas comprendre et qui te semble inconvenant. Seule la mort de Pippo est inconvenante.
Je te maudis, Matteo, car tu n’es capable de rien.

Commenter  J’apprécie          280
Je me suis longtemps appelé Filippo Scalfaro. Aujourd'hui, je reprends mon nom et le dis en entier : Filippo Scalfaro de Nittis. Depuis ce matin, au lever du jour, je suis plus vieux que mon père. Je me tiens debout dans la cuisine, face à la fenêtre. J'attends que le café finisse de passer. Le ventre me fait mal. C'était à prévoir. La journée sera dure aujourd'hui. Je me suis préparé un café au goût amer qui me tiendra de longues heures. Je vais avoir besoin de cela. À l'instant où le café commence à siffler, un avion décolle de l'aéroport de Capodichino et fait trembler l'air. Je le vois s'élever au dessus des immeubles. Un grand ventre plat de métal. Je me demande si l'avion va s'effondrer sur les milliers d'habitants qu'il survole, mais non, il s'extrait de sa propre lourdeur. Je coupe le feu de la gazinière. Je me passe de l'eau sur le visage. Mon père. Je pense à lui. ce jour est le sien. Mon père - dont je parviens à peine à me rappeler le visage. Sa voix s'est effacée. Il me semble parfois me souvenir de quelques expressions - mais sont-ce vraiment les siennes ou les ai-je reconstruites, après toutes ces années, pour meubler le vide de son absence ? Au fond, je ne le connais qu'en me contemplant dans la glace. Il doit bien y avoir quelque chose de lui, là, dans la forme de mes yeux ou le dessin de mes pommettes. À partir d'aujourd'hui, je vais voir le visage qu'il aurait eu s'il lui avait été donné de vieillir. Je porte mon père en moi. Ce matin, aux aurores, je l'ai senti monter sur mes épaules comme un enfant. Il compte sur moi dorénavant. Tout va avoir lieu aujourd'hui. J'y travaille depuis si longtemps.
Commenter  J’apprécie          200
C'est alors que les premiers cris retentirent, d'abord lointains comme des gémissements d'agonisant puis plus proches et menaçants.
La forêt s'animait comme la mer qui enfle à l'approche du grain.
Le mouvement des arbres était plus ample, plus chaotique aussi.
Ils les sentirent arriver.
Instinctivement, ils rentrèrent la tête dans les épaules mais cela ne servait à rien.
Des ombres fondaient sur eux.
Certaines leur bourdonnaient aux oreilles comme des mouches carnivores, d'autres piquaient sur leur tête comme des oiseaux fous.
A l'instant où elles les frôlaient, elles prenaient l'apparence de goules horribles, de gargouilles asséchées par le temps, puis elles retrouvaient leur forme vaporeuse, tournaient dans les airs avant de fondre à nouveau sur les visiteurs.
Leurs cris déchiraient les tympans.
C'étaient des plaintes animales - comme si une vache avait voulu pousser des cris de hyène.
Elles essayaient de mordre, de griffer, tournoyaient sans cesse.
Elles n'avaient aucun corps et ne pouvaient causer aucune blessure mais leur haine vibrionnante faisait naître une peur panique.
Bientôt, il y en eu des centaines qui se pressaient autour de Matteo et du curé, comme un essaim d'abeilles, allant, venant, ne lâchant jamais leur proie ...
Commenter  J’apprécie          242
Je suis à genoux devant vous, père, mais ne croyez pas que je suis faible. Je suis forte. J'ai confiance en vous. Vous allez faire pour moi un miracle et je sens déjà la joie monter dans mes veines. Je sais que des hommes comme vous sont capables de choses pareilles. Cela leur coûte, peut être, mais ils sont ici-bas pour cela, pour nous soulager de nos malheurs. Je sais ce qui vient. Les aveugles vont voir. Les paralytiques se mettront à marcher. Je sais tout cela. Je suis prête. C'est l'heure de la résurrection des morts . Tous, un par un, ils vont se lever de dessous la terre et marcher. J'attends avec impatience. Ce ne sera pas un miracle. Juste une réconciliation du Seigneur avec des hommes. Car il nous a offensés. Vous le savez comme moi. Par la mort de Pippo, il m'a jetée à terre et m'a battue. C'était un acte de cruauté et je l'ai maudit pour cela. Mais c'est aujourd'hui l'heure du pardon. Le Seigneur lui même va s'agenouiller devant nous et nous demander de lui pardonner. Je le regarderai longuement, je lui baiserai le front et je lui pardonnerai. C'est alors que les morts se lèveront, car tout sera achevé. C'est bien. Je prie pour que ce jour advienne. Je suis pleine de force. J'attendrai jusqu'à demain je sens déjà la terre qui gronde. Les cadavre bougent. Ils se préparent et trépignent d'impatience. Il ne reste que quelques heures avant que le Seigneur ne se présente à nous. J'ai hâte, mon père, de le voir s'agenouiller devant moi et pleurer avec humilité.
Commenter  J’apprécie          180

Videos de Laurent Gaudé (100) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Laurent Gaudé
Vendredi 13 novembre 2015, il fait exceptionnellement doux à Paris – on rêve alors à cette soirée qui pourrait avoir des airs de fête. Deux amoureuses savourent l'impatience de se retrouver ; des jumelles s'apprêtent à célébrer leur anniversaire ; une mère s'autorise à sortir sans sa fille ni son mari pour quelques heures de musique. Partout on va bavarder, rire, boire, danser, laisser le temps au temps. Rien n'annonce encore l'horreur imminente. Laurent Gaudé signe avec *Terrasses* un chant polyphonique qui réinvente les gestes, restitue les regards échangés, les quelques mots partagés, essentiels – écrit l'humanité qui éclot au coeur d'une nuit déchirée par l'impensable. Et offre à tous un refuge, face à un impossible oubli.
le nouveau livre de Laurent Gaudé est en librairie. Lire les premières pages : https://www.actes-sud.fr/terrasses #litterature
--- Retrouvez-nous aussi sur les réseaux sociaux ! • Facebook : https://www.facebook.com/actessud/ • Instagram : https://www.instagram.com/actessud/ • Twitter : https://twitter.com/ActesSud
Suivez nos actualités en vous abonnant à notre newsletter : https://share-eu1.hsforms.com/1_fVdYaQZT-2oDIeGtNS41wf4a19
+ Lire la suite
autres livres classés : naplesVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (3227) Voir plus



Quiz Voir plus

Laurent Gaudé

En quelle année est né Laurent Gaudé?

1965
1967
1970
1972

10 questions
175 lecteurs ont répondu
Thème : Laurent GaudéCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..