- Vous dépouillez des miséreux, dit alors Salvatore Piracci en serrant les dents.
- J'ai été comme eux, répondit-elle. Je sais ce qu'ils endurent. Et crois-moi, ils sont soulagés de trouver quelqu'un à qui donner leur argent, quelqu'un qui va prendre en charge leur douleur et leur offrir ce qu'ils veulent. Si je ne le faisais pas, d'autres le feraient. Plus mal. Et plus cher. Mes clients sont pauvres. Oui. Mais je ne vois pas pourquoi je devrais ajouter à leur désespoir en leur refusant la traversée. Ils se jetteraient à la mer pour y aller à lanage, s'ils ne m'avaient pas.
Les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent.
A Catane en ce jour, les pavés des ruelles du quartier sentaient la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recueillaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d’un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derrière leurs tréteaux avec l’œil plissé des commerçants aux aguets.
La mère est là. Qui nous attend. Et que nous ne reverrons pas. Elle va mourir ici avant que nous ne puissions la faire venir près de nous. C'est certain et nous le savons tous les deux. Elle sait qu'elle voit ses fils pour la dernière fois et elle ne dit rien parce qu'elle ne veut pas risquer de nous décourager. Elle restera seule, ici, avec l'ombre de notre père. Elle nous offre son silence, avec courage.
L'Eldorado. Il sut, à cet instant, que ce nom lointain allait régner sur chacune de ses nuits.
L'herbe sera grasse, dit-il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbéreront les rayons du soleil. Les forêts frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L'Eldorado, commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela, ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'oeil sec, nous autres. Et nos vies sont lentes.
Tuer. Elle n'avait vécu que pour cela. Le commandant se passa la main sur le visage. Il avait chaud. Il voulait se lever, faire quelques pas, lui parler de la vie qui lui restait à vivre, du passé qu'il fallait laisser derrière soi. Parler du malheur, lui dire qu'on ne se venge pas d'une tempête ou d'un cataclysme. Mais avant qu'il n'ait pu le faire, elle repris la parole et sa voix le gifla.
- Ils m'ont fait payer le billet de mon fils. Mille cinq cent dollars, commandant. Mille cinq cent dollars pour mourir de soif dans mes bras. Comment voulez-vous que je pardonne ça ?
"l'herbe sera grasse, dit il, et les arbres chargés de fruits. De l'or coulera au fond des ruisseaux, et des carrières de diamants à ciel ouvert réverbèreront les rayons du soleil. Les forets frémiront de gibier et les lacs seront poissonneux. Tout sera doux la bas. Et la vie passera comme une caresse. L'eldorado commandant. Ils l'avaient au fond des yeux. Ils l'ont voulu jusqu'à ce que leur embarcation se retourne. En cela ils ont été plus riches que vous et moi. Nous avons le fond de l'œil sec nous autres et nos vies sont lentes."