Il n'était plus personne. Il se sentait heureux.
Comme il est doux de n'être rien. Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado.
Combien de fois dans ta vie, Salvatore, as-tu vraiment demandé quelque chose à quelqu’un ? Nous n’osons plus. Nous espérons. Nous rêvons que ceux qui nous entourent devinent nos désirs, que ce ne soit même pas la peine de s’exprimer. Nous nous taisons. Par pudeur. Par crainte. Par habitude. On nous demande mille choses que nous ne voulons pas mais qu’il nous faut, de façon urgente et vaine, pour remplir je ne sais quel vide.
Je l'ai compris à son regard. S'il m'a demandé de venir avec lui, c'est qu'il veut que nous soyons ensemble pour dire adieu à notre ville. Je ne dis rien. La tristesse et la joie se partagent en mon âme. Les rues défilent sous mes yeux. J'ai doucement mal de ce pays que je vais quitter.
Il se souvenait d'avoir essayé de les compter ou du moins de prendre la mesure de leur nombre, mais il n'y parvint pas. Il y en avait partout. Tous tournés vers lui. Avec ce même regard qui semblait dire qu'ils avaient déjà traversé trop de cauchemars pour pouvoir être sauvés tout à fait.
Oui, décidément, il était seul. Le fils de plus personne. Ni père, ni mari. Un homme de quarante ans qui mène sa vie sans personne pour poser un regard dessus. Il allait persévérer dans l'existence, réussir ou échouer, sans que nul ne hurle de joie ou ne pleure avec lui.
Je lui promets d'oublier qui je suis. D'oublier que cela fait huit mois qu'il veille sur moi. Le temps de l'assaut, nous allons devenir des bêtes. Et cela, peut-être, fait partie du voyage. Nous éprouverons la violence et la cécité. La fraternité est restée dans les bois. Nous lui tournons le dos. C'est l'heure de la vitesse et de la solitude.
Les hommes, dans la nuit, se racontaient des histoires pour se faire briller les yeux.
Et là aussi, il n’était pas allé jusqu’au bout et avait retiré sa main. C’est qu’alors, sur cette passerelle incertaine, comme ce soir en passant la porte de son immeuble, il avait senti dans le regard de cette femme qu’elle ne voulait aucune aide. Qu’elle marcherait seule et droite tant qu’elle déciderait de vivre.
J’ai suffisamment d’argent pour prendre un billet d’avion mais il y a dans ce voyage quelque chose de froid et de rapide qui me répugne.
Lorsque Salvatore Piracci quitta la boutique d’Angelo, la nuit était déjà tombée. Les rues de Catane avaient pris leur visage de chats borgnes. Les bâtiments semblaient plus troubles et plus menaçants.