Citations sur Terrasses ou Notre long baiser si longtemps retardé (32)
Si l'enfer existe, nous y sommes. La lenteur de leurs gestes lorsqu'ils approchent d'un corps. L'assurance de leur domination sur nous. Leur calme. Il ne reste rien face à cela - que notre peur.
Nous nous relevons. Nous comptons nos morts. Nous étreignons ceux dont nous étions sans nouvelles et que la mort n'a finalement pas pris. Nous reprenons le chemin de nos vies. Qu'avons-nous perdu ? Un peu de nous-mêmes. De notre sérénité. De notre insouciance. Mais quelque chose est né en nous. Nous avons envie de brandir fièrement ce que nous sommes. Pour défier ceux qui voulaient nous abattre. Nous ne sommes pas soumis. Blessés. Sonnés. Mais pas soumis. Ils voulaient nous châtier. Genou à terre. Mais nous ne savons pas être autrement que ce que nous sommes. Nous nous relevons. Les terrasses des cafés deviennent le symbole de notre mode de vie. Nous y retournons. Nous trinquons haut et fort. Mais les images de cette nuit restent en nous. Nous avons appris qu on pouvait mourir de marcher dans la rue, de s'attarder autour d'un verre avec des amis. Et pourtant, il faut continuer. Vivre. Comme on aime. Au nom de ceux qui sont tombés. Nous serons tristes, longtemps, mais pas terrifiés. Pas terrassés.
Nous nous levons, sans imaginer qu'ils se lèvent eux aussi, dans d'autres lieux de la ville, ilsprennent un café eux aussi, en mangeant peut-être, comme nous, des tartines. Nous n'y pensons pas. Comment pourrions-nous imaginer ? Nous ne savons rien d'eux, ni de nous. À cette heure, nous sommes inconnus les uns des autres. Personne n'a de nom. Seul le malheur en donnera un à certains d'entre nous, bien plus tard, lorsqu'il faudra établir des listes.
Chacun d'entre nous se sentira abîmé, même s'il n'a pas été blessé.
À cette heure, nous sommes inconnus les uns des autres. Personne n'a de nom. Seul le malheur en donnera un à certains d'entre nous, bien plus tard, lorsqu'il faudra établir des listes.
Nous réalisons tous que celle qui me parle est dans la salle, et alors nous pouvons affirmer que nous y sommes, nous aussi par ce petit filet de voix ténue qui nous appelle nous supplie de venir, nous y sommes, dans la salle avec elle, à l'autre bout de sa voix. Elle nous y fait entrer avec sa peur et alors je parle, je ne peux plus la laisser. C'est comme de lui tenir la main. Il n'y a plus de protocoles, de questions imposées, ou en tout cas, je ne les connais plus et personne autour de moi ne me les rappelle. Il y a ce lien qu'il ne faut pas rompre, Mais soudain tout se suspend j'entends le tir.
Le monde hurle face à eux. Tout le monde s'écarte, court se mettre à l'abri. Comme c'est jouissif. Sous leurs pieds, même le trottoir gémit.
"Je ne serai plus... Plus jamais celle que je fus... Jamais... Je ne deviendrai jamais... Plus rien d'autre... Que ce que je fus."
Bientôt, nous oublierons parce que tout ce qui précède va être avalé par ce qui vient. C'est comme un trou noir en fin de journée qui va dévorer tout ce que nous aurons vécu pour arriver jusqu'à lui. Seul compte l'abîme. Et il est tout près.
Il faut quelques secondes pour saccager une vie mais des années pour la réparer.