L'angoisse même qui lui point le coeur cède déjà au plaisir secret de l'attente.
Et des arbres encore, des bouquets d'arbres arrondis sur leur ombre jalonnent la plaine et conduisent les yeux vers le grand fleuve, ses eaux qui doucement irradient, l'air qui tremble sur elles imperceptiblement, sur les grèves, les touffes d'osier, l'autre plaine sur l'autre rive, les métairies éparses, les vieux sureaux à l'angle des basserelles, près des puits où dorment les eaux folles; et là-bas, longue sur l'horizon, aériennement suspendue, la ligne bleue des bois de Sologne.
Le soleil de cinq heures, si glorieusement qu'il resplendisse, fait amitié avec le ciel immense, l'horizon bleu, le caillou et la feuille, les cheveux de mon amie. Juste au-dessous de nous, frôlant le mur de leurs basses branches, les arbres du "Château" éploient leurs cimes seigneuriales. Par-dessus elles, l'ancien jardin à la française a cédé l'espace aux cultures. Aussi belles et mieux encore : labours roses de l'automne, tendre vert des pâtures de mai, colzas éblouissants et rousseur des épis mûrs, elles chatoient au long de l'an, ainsi soit-il.
Il regarde. Beauté du monde... Cette vallée où nous sommes nés, où nous avons grandi ensemble, en épuiserons-nous jamais le charme et la sérénité?
Est-ce cela, vivre ? Ces alternances, ces spasmes de l'âme où la joie et l'angoisse se confondent, ces affrontements, ces communions, ces autres vies qui traversent la nôtre, s'y nouent, se délient d'elle, l'exaltent ou la dévorent ?
"Mes pensées flottent de ça de là. Je voudrais quelque chose et ne sais pas ce que je veux." Comment ne pas te reconnaitre ? Au lieu de "pensées", ou en outre, dis : appels, aspirations, désirs ; songe aux manques, aux vides douloureux, à la faim que cela suppose. "Est-ce joie ? Est-ce souffrances?" dit Mörike. Et mon ami Julien ne sait pas. Même si l'enfant a cru savoir, l'adolescent ne sait plus, ne sait pas. Et même s'il rit, s'il chante sur la route, il est triste, la Sehnsucht est en lui.
Ici, nous sommes vraiment chez nous. Heureux temps, celui où nous vivons ! Un tiers après l’Année Terrible, trente-quatre ans de paix et de stabilité, une Banque de France dont les billets républicains défient le prestige de l’or même, et pour nous, notables de Chasseneuil, douceur de vivre aujourd’hui et demain : le Coteau..
Vivre, c'est toujours recommencer, tu vois.