Citations sur La trilogie de Pan, tome 1 : Colline (185)
On dirait que ces terres se sont avancées depuis hier. On les toucherait avec la main, pense Gondran. Le ciel est bleu d’un bord à l’autre.
Quand Gagou a lâché la veste de Jaume, il a couru en désarroi dans la fumée. Il bramait, il avait peur ; et tout d’un coup, émerveillé, il s’est immobilisé tout tremblant de joie. Un long fil de bave suinte de ses lèvres.
L’épais rideau s’est déchiré. Devant lui dix genévriers brûlent ensemble. C’est vite fini, la flamme saute, mais, c’est, maintenant, comme dix candélabres d’or qui scintillent. Toutes les branches sont des braises, les branchillons aussi, les minces réseaux de bois, aussi. C’est resté tout droit, encore, comme des arbres vivants, mais, à la place du bois noir et inerte, ce sont des vers de feu qui ondulent et se tordent, se lovent, se déroulent avec un craquement léger et net. C’est joli.
- Ga, gou…
Il s’approche, tend la main, et, malgré l’étau de feu qui broie ses pieds, il entre dans le pays des mille candélabres d’or.
Depuis le matin où il s’est vu le chef, il a lutté à l’abri de l’espérance ; il était comme un ressort, un coup reçu le jetait en avant. Ce soir, il a rencontré brusquement sur sa route le torrent du désespoir et l’eau furieuse l’emporte.
Il a peur. Il n’a plus la certitude qu’on va gagner, dans cette lutte contre la méchanceté des collines. Le doute est en lui, tout barbelé comme un chardon.
Vous savez ce que c’est, un grenier ? C’est plein de choses qui sont comme mortes : d’anciennes armoires toutes cassées, de mauvais souliers, des corsages qui ont fait leur temps ; enfin, des choses qu’on a mis là pour les laisser mourir toutes seules. Quand on les revoit, elles ont l’air de vous le reprocher ; c’est toujours un peu triste.
Ces collines, il ne faut pas s'y fier. Il y a du soufre sous les pierres. La preuve ? Cette source qui coule dans le vallon de la Mort d'Imbert et qui purge à chaque goulée. C'est fait d'une chair et de sang que nous ne connaissons pas, mais ça vit.
C'est fort, un arbre; ça a mis des cent ans à repousser le poids du ciel avec une branche toute tordue.
Depuis elle pousse sa tête rouge à travers les bois et les landes, son ventre de flamme suit ; sa queue, derrière elle, bat les braises et les cendres.
D'un seul coup, la terre s'est enragée. Les buissons se sont défendus un moment en jurant, puis la flamme s'est dressée sur eux, et elle les a écrasés sous ses pieds bleus. Elle a dansé en criant de joie; mais, en dansant, la rusée, elle est allée à petits pas jusqu'aux genévriers, là-bas, qui ne se sont pas seulement défendus. En moins de rien ils ont été couchés, et ils criaient encore, qu'elle, en terrain plat et libre, bondissait à travers l'herbe.
Et ce n'est plus la danseuse. Elle est nue; ses muscles roux se tordent; sa grande haleine creuse un trou brûlant dans le ciel. Sous ses pieds on entend craquer les os de la garrigue.
- Là. Tu l’as vu, quand ?
- Y a trois semaines.
- Et c’est maintenant que tu viens me le dire ?
- Je croyais pouvoir empêcher la chose, comme une fois, on dit que tu l’as empêchée mais, j’ai peur que ça n’aille plus, à cette heure.
-T’as compté les dents des collines ?
- Les dents ?
- T’as vu s’elles ont le poil ou un petit couché dans le courant du vent ?
- …
- T’as parlé le berli du berlu à la corbelle du corbeau ?
- …
- T’as louché ?
- …
- T’as vu le nid du matagot, derrière la colle d’Espel, là où n’y a que des ginestes brûlées, que c’est lui qui les brûle dans son respir ?
Jaume se demande si c’est le même homme de tout à l’heure, aigre et net, qui parle ainsi.
La terre c'est pas fait pour toi, unique, à ton usance, sans fin, sans prendre l'avis du maître, de temps en temps. (...) Il est le père de tout; il a du sang de tout dans les veines. (...) et, il tient dans sa main la grande force.