Sables noirs, c'est un voyage et une expérience, pour le personnage principal comme pour le lecteur. C'est la confrontation avec le désert et avec l'absurdité du monde des hommes.
Lilu, le protagoniste de cette histoire, a 14 ans. Il vit avec une tribu Touareg qui l'a recueilli quand il avait quatre ans, après l'assassinat de ses parents. Lilu n'a toujours connu que le désert, la vie rude du nomade. Tout ce qu'il sait du monde au-delà du désert, il l'a appris par les illustrations d'un vieil imagier encyclopédique. Une vision forcément fragmentée et fragmentaire.
Sa rencontre avec un groupe djihadiste va lui faire découvrir le monde, ses technologies, ses guerres... Spectateur candide et perplexe, il pourrait en devenir un acteur involontaire car ses nouveaux amis ont des projets pour ce petit Blanc ignorant, à l'esprit malléable...
Sables noirs raconte une véritable histoire mais elle est finalement secondaire, servant simplement d'ossature à un périple immersif dans le désert et dans l'absurdité du monde des hommes. Au-delà de la description du mode de vie des nomades, de la vie (ou plutôt de la survie) dans le désert, l'écriture d'
Hervé Giraud emmène le lecteur beaucoup plus profondément. C'est pourquoi ce très court roman est plus une expérience qu'une simple lecture.
En confrontant Lilu, son Candide du XXIe siècle, aux luttes entre djihadistes et soldats occidentaux, il montre avec beaucoup de finesse les motivations et les absurdités de deux mondes qui ne se comprennent plus. Par rapport à d'autres livres qui se sont emparés du même sujet, Sables noirs adopte un point de vue tout à fait original, celui d'un observateur sans préjugés et sans biais. Si le camp djihadiste est bien décrit, j'ai regretté que le propos ne soit pas plus équilibré dans la partie où Lilu côtoie les soldats français. L'argumentaire le plus frappant est celui du colonel et on ne peut pas dire qu'il soit d'une grande subtilité... Ce qui m'effraie, c'est de penser que des Occidentaux puissent vraiment avoir encore un raisonnement aussi primaire et idiot.
Cela dit, ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce roman, c'est la beauté de l'écriture. Elle est à la fois très simple, accessible à des adolescents mais l'auteur a un sens de la formule, une façon de décrire les choses et les pensées qui est d'une qualité qu'on trouve rarement en littérature jeunesse (et tout aussi rarement en littérature adulte). Je le rapproche dans mon esprit de
Claude Michelet, ce qui n'est pas un mince compliment. J'ai aussi admiré la façon dont il fait entrer en scène chaque personnage, au début du roman (et même par la suite). C'est vraiment habile et subtil. Ils prennent vite corps et consistance sans que nous ayons besoin de longues descriptions et explications.
Si on regrette souvent qu'un bon roman soit trop court, ce n'est pas le cas de Sables noirs. Je ne l'aurais pas souhaité plus long. C'est le bon dosage. En si peu de pages, le roman d'
Hervé Giraud laisse déjà une impression marquante qu'on garde pendant plusieurs jours à l'esprit.
Si l'éditeur et l'âge du personnage principal classent ce roman en littérature jeunesse, il peut plaire même à des lecteurs adultes. C'est à cela qu'on reconnaît, à mon sens, un bon roman jeunesse. Cela dit, pour les plus jeunes lecteurs, je le conseillerais à partir de 14-15 ans (c'est l'âge du héros). La plupart des lecteurs plus jeunes n'ont sans doute pas la maturité nécessaire pour comprendre ce roman.
Un grand et sincère remerciement aux éditions
Thierry Magnier et à la plateforme NetGalley de m'avoir permis de découvrir ce roman en avant-première. Il sera en librairie à partir du 31 août 2022. Il est un peu cher, à mon avis, si on le rapporte au nombre de pages et au temps de lecture mais il supporterait très bien une relecture, ce qui n'est pas toujours le cas avec des pavés de plus de 300 pages. Et puis, c'est toujours moins cher qu'un véritable voyage dans le Sahara.
Challenge Romans Jeunesse 2021/2022