Citations sur Thiên An ou La grande traversée : Du Vietnam à Paris XIIIe (4)
Avant le départ, mieux vaut ne pas savoir comme c'est facile de mourir ; Est-ce qu'Ulysse aurait commencé son Odyssée s'il avait su ? Est-ce que Robinson aurait pris la mer ? Moi, je me serais caché quelque part et rien ne m'aurait fait sortir.
La vague est énorme et plus elle monte vers le ciel noir d'orage plus l'écume devient rouge, elle se disperse en embruns carmin sur la peau de ma mère, et mes petits frères, des autres passagers sans visage et moi je suis derrière une vitre, face au spectacle atroce de cette pluie de sang. Je cogne le verre, je veux qu'ils sortent de là, l'averse continue et la vitre résiste, je devine leurs cris muets, mais je ne peux rien y faire alors je refuse de voir, j'essaie d'abaisser les paupières, de toutes mes forces, en vain : mes yeux restent ouverts jusqu'à ce que la vague s'abatte sur le bateau, le fracasse, projette sur la vitre une flaque rouge brillante et que je me réveille en hurlant.
Le "je" n'existe pas dans ma langue, on est toujours le petit frère ou le grand frère de quelqu'un, seul on n'est personne.
Mon père dit souvent qu'on n'est pas des immigrés, nous ne sommes pas partis pour l'aventure ou pour une vie meilleure. Nous sommes partis pour partir, peu importait la destination. Ce qui comptait était de fuir, ça ne pouvait pas être pire ailleurs. "Réfugiés", le prof aime bien.