Je préférais aussi, et d'une façon marquée, la société des «deuxième classe» à celle de gradés, dont je voyais déjà trop d'échantillons à table et aux réceptions chez nous, au Consulat d'Angleterre, ou encore chez les princes persans. A ce point de vue, je n'étais donc guère fier, et même Bagchali, sous-officier supérieur si l'on veut, était à mes yeux supérieur à tous les généraux et princes de l'entourage habituel de mon père, qui étaient des gens prétentieux et ennuyeux au possible.
Mais où je devenais fier et intraitable, c'était dans les questions de préséance au cours des cérémonies officielles, auxquelles je ne brûlais pourtant pas d'assister.
Je ne retournerai plus jamais chez ce malappris de major Tchounoff ! Ces gens sont mal élevés et ne connaissent aucun usage, ou alors il font exprès, et dans ce cas je voudrais que, d'une manière ou d'une autre, ils aient de mes nouvelles !
Mon père eut quelque mal à calmer mon exaltation en me prêchant la simplicité et l'abnégation. Mais moi, j'estimais qu'il était «trop bon ».
Il faut reconnaître que ces heurts n'arrivaient que rarement, parce qu'en Perse on connaissait à fond les usages, et les officiers du corps d'occupation russe appliquaient par-dessus le marché scrupuleusement les règles de la politesse orientale.
II fallait être natif de la ville pour prétendre se retrouver dans ce réseau compliqué, très ancien au surplus et mal entretenu.
Quant à la ville elle-même, elle avait une densité de construction très inégale. Si certains quartiers, les bazars (souks) en particulier, formaient des pâtés d'habitations compacts, il en était d'autres où des cimetières, des ruines et d'immenses terrains vagues s'étendaient à perte de vue. Ailleurs, c'étaient carrément des champs de blé ou de vignobles ; de grands jardins et des murs en terre battue entouraient, d'autre part, des propriétés de richards ou de gens haut placés.
Pas une herbe en cette fin d'été. Tout a été brûlé par le soleil, et ce n'est qu'avec les premières pluies ou les neiges (Il y a bien cinq ou six précipitations atmosphériques par an à cet endroit du plateau iranien. Pluie ou neige en hiver) fondues du printemps que quelques gazelles risquaient d'apparaître dans les environs mêmes de la ville.
Pour l'instant, le meilleur gibier que je pusse escompter, c'était un vulgaire lapin de garenne, et encore !
Les romans d'aventures insistent toujours sur le fait qu'il suffit d'un fil pour faire craquer tout un édifice de préparatifs. Aussi tenais-je à prendre le maximum de précautions.
Dormir ? Il n'en était pas question. J'avais peur de ne pas me réveiller à l'heure. Utiliser le réveil ? C'était, pour le coup, alerter ma sœur, la Suissesse et les domestiques !