Nulles ténèbres en elles. Il n'avait que faire de la lumière.
C'était une femme seule qui avait répondu à une petite annonce personnelle dans un journal de la ville, une femme qui avait parcouru des kilomètres et des kilomètres aux frais de quelqu'un d'autre. Elle n'était ni douce ni romantique, ni simple ni honnête. Elle était à la fois désespérée et pleine d'espoir.
Elle se rappela qu'elle jouait un rôle, et fut convaincante. Elle avait pris l'habitude d'être la femme que recherchaient les hommes, et elle savait que Ralph voulait repartir de zéro, recommencer avec une femme ingénue et timide, qui ne s'abandonnait que par petites touches discrètes, et elle la jouait bien, tellement bien qu'elle en croyait son propre mensonge.
Elles parlaient du commencement du monde, par le désir brûlant d'un homme pour une femme, du venin du serpent qui courait dans les veines de chaque homme afin qu'il ne pût s'oublier dans le labeur ou le sommeil, mais seulement dans les bras d'une femme.
C'était l'histoire de gens qui ne faisaient le choix de la vie contre la mort que lorsqu'il était trop tard pour faire la différence entre les deux.
Elle avait mené une vie entière de souillure, d'abjection et de luxure. Ce à quoi elle aspirait aujourd'hui du fond du coeur, à sa grande surprise, c'était à un printemps aussi abondant et érotique que l'hiver était chaste et exsangue.
Catherine était tout. Ce n'était pas une femme ; c'était tout un monde. [...] Elle lui sourit, et il sut alors qu'il mourrait pour elle.
Elle savait qu'il fallait parfois tourner la page sur des éléments précis du passé, que, même si c'était bien triste, certains territoires étaient irrémédiablement perdus, et pour toujours.
Elle lut des romans sentimentaux, en s'imaginant que les hommes et les femmes assis aux tables de lecture étaient les personnages de ces intrigues. Des vies heureuses et passionnées - comme tout paraissait simple, pour les autres. Elle lut Jane Austen, Thackeray, Dickens, ces histoires dans lesquelles la vie des pauvres loqueteux devenait merveilleuse à la fin.
Aussi Ralph se tenait-il le torse bombé, inflexible, insoucieux de la température et endurci contre les commérages, le regard fixé sur les rails qui allaient se perdre au loin. Il était plein d'espoir, n'en revenait pas d'espérer encore, d'espérer qu'il était présentable, ni trop vieux, ni trop stupide, ni trop hostile. Il espérait, ne fût-ce que pour cette heure précédant la neige qui les cloîtrerait tous entre quatre murs, que l'agitation de son âme, sa solitude inconsolable demeureraient invisibles.