Un guerrier ne se plaint jamais, Luis. Il sait qu'il n'a aucune chance de vaincre s'il ne prend pas le risque de tout perdre.
Quand une femme aymara donne à manger à son petit, la première cuillerée de sa < masamora », sa soupe de maïs, est offerte à la « Pachamama », la vieille Terre Mère. Ainsi pénètre dans I'esprit de l'enfant l'évidence que cette boule céleste où nous avons vu le jour est vivante, qu'elle respire, sent, donne, prend, qu'elle a besoin d' être nourrie. Les Indiens ne soignent pas la terre parce qu'elle est malade, ils la soignent parce qu'elle est leur mère. IIs l'aiment; voilà tout. En vérité, les chamans n'apprennent rien d'autre que cela : entrer en relation intime avec la vie qui est en toute chose.
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Tu dois entrer dans la nuit comme un chat, et dans le jour comme un lion.
El Chura m'avait dit : Imagine là-haut au-dessus de ta tête un aigle à l'œil aigu, attentif, précis, froid. Tiens-toi lié à luo par un fil lumineux. L'aigle te voit. Il voit aussi ce qui t'entoure. Il voit ce que tu es, un être parmi d'autres, un être sur son chemin, charriant son histoire, ses peurs, ses croyances, son cœur, ses soleils et ses brumes, un être et sa version du monde ni plus ni moins tordue, ni plus ni moins exacte que celle des vivants qui bougent autour de toi.
Chacun a sa façon de voir, de ressentir, d'interpréter les choses. Souviens-toi de l'histoire du moine, du brigand, du peintre et de l'avare qui voyageaient ensemble. Ils ont trouvé refuge, un soir, dans une grotte. Le moine a murmuré : « La paix de cet endroit me rapproche de Dieu. » Le brigand, lui, a dit : « Quel repère idéal pour des malfaisants de ma sorte ! » « Ces ombres, ces lueurs, ces teintes sont l'expression de l'art le plus parfait qui soit », a pensé le peintre. L'avare : « Voici le lieu que je cherchais pour cacher mon trésor. » Aucun n'avait un aigle au-dessus de la tête. Si l'un deux avait eu ce veilleur attentif, il aurait pu se voir parmi ses compagnons, il aurait pu sortir de lui-même, il aurait pu rencontrer vraiment la grotte, son savoir, son histoire et ses rêves profonds. L'œil de l'aigle voit tout ce que tu ne peux pas voir, en bas, au ras des herbes. Il te décolle de toi-même. Il voit ce que tu penses, il voit aussi au-delà de ce que tu penses. Il voit, par exemple, que ton histoire dans ce monde n'est pas seulement celle que raconte ta tête. Elle sait beaucoup, ta tête, mais pas tout ! Ton corps sait autant qu' elle. Tu peux aussi demander à ton corps de te raconter sa propre version de ta vie. »
Je l'ai fait. J'ai demandé à l'aigle d'interroger mon corps. Et savez-vous ce que mon corps a répondu ? Il a dit : « Quelle sottises d'imaginer l'âme séparée de moi ! L'âme est le temple de la mémoire. Comment entrer dans l'âme, sinon par le de sentir ? Et comment entrer dans le sentir, sinon par les portes du corps ? » Voilà ce que mon corps a dit à l'aigle. Et moi, ce jour là, j'ai appris où était le vrai secret : dans l'attention de l'aigle. Elle seule permet de percevoir les choses dans leur nudité simple, de se nourrir de tout, d'entrer en amitié avec tout ce qui vient, avec tout ce qui est, les herbes, les poissons, les montagnes, la terre. Eux aussi ont leur joie et leur douleur, leur histoire, leur idée de Dieu, leur version du monde. Qui peut être assez fou pour penser que la Terre est une boule inerte ? Elle est vivante, elle a ses espérances et ses poussées de fièvre, elle parle, il suffit de vouloir l'écouter pour l'entendre. Demandez à l'aigle de prendre assez de hauteur pour embrasser la Terre, et demandez à la Terre de vous raconter son histoire depuis que les hommes bougent sur elle. Peut-être l'entendrez-vous se soucier de nous, s'effrayer de nos guerres et pleurer de ne pas savoir quel mal elle nous a fait pour que nous l'aimions si peu. »
1) Chacun en lui a sa boussole qui l'attire à ce qu'il lui faut.
2) Ne laisse rien passer, Luis, tout vient pour te nourrir.
3) Sois un capteur, fils, sois un aimant. Bien ancré dans ton corps, attire sans cesse ce qui te vient du dehors autant que du dedans. Fais ton profit de tout, car l'épice est dans tout.
Avez-vous vu la terre du désert boire l'eau d'un nuage?
J'étais un désert, et je buvais des livres.
- Don Sebastian, pourquoi Dieu m'aimerait-il si je ne fais pas ce que je dois pour cela ?
- Parce qu'il ne sait rien faire d'autre. Il ne sait rien faire d'autre qu'aimer.
Tes racines souffrent. Il y a dans ton corps un cri prisonnier, un cri de l'Esprit, un appel au secours, du fond d'une oubliette. Il faudra bien que ta chair s'ouvre pour que ce cri sorte au grand jour, et peut-être te sauve.
Qui se soucie de regarder un caillou ? On pousse devant soi quelques idées abstraites qu'on croit indiscutables. Un caillou ? C'est moins qu'une plante. C'est sans valeur. C'est chaotique. Et le passant va son chemin, cherchant un ami peut-être, ou le sens de la vie, ou la maison de Dieu. Tout était là pourtant, sur le bord de la route, dans ce morceau de roc effleuré d'un œil vague. Il aurait suffi de se pencher sur lui, et d'oser faire sa connaissance. Il aurait suffi de renoncer un instant à quelques certitudes, quelques suppositions. Il aurait suffi d'un peu d'oubli de soi, d'un rien d'amour.
La conscience carrée est très utile pour fabriquer des trains, des routes, des avions, des villes, des médicaments, des canapés, des systèmes increvables. Mais elle est ainsi faite qu'elle ne veut pas goûter, elle veut comprendre. Elle ne veut pas jouer, elle veut travailler. Elle ne veut pas de l'inexprimable, elle veut des preuves. Elle ne veut pas être libre, elle veut être sûre. Elle doit être respectée, elle a des droits, et des pouvoirs. Mais veille à ne pas lui laisser tous les droits, ni tous les pouvoirs. Veille à ce qu'une porte reste toujours ouverte dans un coin de ta conscience carrée. Il faut que tu puisses sortir dans le jardin.