« Quel drôle de siècle, vraiment, où sont nés sous le même ciel et quasiment à la même heure le bourreau et le troubadour, l'inquisition, le vide d'âme, et le chant des coeurs accordés ».
Quel drôle de siècle, oui, ce 13e siècle...Mais est-il moins bien que le nôtre, tout entier tourné vers des occupations qui nous jettent hors de nous-mêmes et nous font oublier qui nous sommes ? le nôtre où le bourreau côtoie toutes les espèces d'inquisition?
Laissons Jaufré à son époque, même s'il se lamente, même s'il croit que le mensonge est à l'origine de sa vie. Sa nourrice lui a toujours chanté à l'oreille qu'il était «
l'enfant de la neige », l'enfant trouvé alors que le givre s'accrochait aux buissons. Il a été élevé dans l'amour par le père prieur Aymar, pourtant homme fier et hautain, en compagnie
D Alexis, le fils de sa nourrice. Mais Jaufré s'est voulu troubadour et a déserté cette vie paisible.
le voici, au début du roman, revenu après 7 ans. Ce retour déclenche la venue de la vérité, mais quelle vérité ? Car « la vérité prend les couleurs des saisons, elle se travestit, se flétrit, meurt malheureuse et revient forte ». de mystère résolu en mystère à venir, de mensonge avoué en vérité déguisée, Jaufré avance dans le noir de son passé et du présent. Aidé par Alexis, mais aussi par les anciens – Anthelme le luthier, la vieille femme qui se meurt dans le grenier de l'auberge, Vitalis le moine copiste – Jaufré va de découverte en découverte.
Sur fond d'inquisition, de bûchers, de château abandonné après une tragédie, de couvent noir et froid, le dévoilement du passé se fait, mais l'amour surgit...
Henri Gougaud signe ici un roman prodigieux, où la truculence du verbe se mêle à la poésie la plus pure (« Parlons, puisque vous le voulez, quoique cela me semble aussi peu profitable que de pisser au pied d'un arbre pour imiter le bruit des vagues contre les récifs océans » mais aussi « Tu partiras, je le sais bien, et je resterai comme un arbre abandonné par les oiseaux »), où les réflexions sur la vie et son cortège de désespoirs et de joies se mélangent aux préoccupations les plus triviales.
Oui,
Gougaud est un sage, il nous peint l'âme de mille couleurs pour nous permettre d'avancer malgré tout dans notre siècle difficile. En tout cas, il m'a aidée, moi, en soulignant l'éphémère mais en ne cachant pas l'Invisible.
« Les misères s'usent aussi. Elles sont comme des tintamarres, elles viennent, elles sont assourdissantes, elles occupent toute la vie, puis elles s'éloignent peu à peu, elles se rapprochent du silence, elles tombent dedans et voilà, elles ne nous incommodent plus ».
Je quitte ce monde précieux sur la pointe des pieds, lestée de courage et de profondeur.