Ce spécialiste des régions inconnues du cerveau avait expliqué à Marie que les visions dont elle souffrait s'apparentaient à un syndrome médiumnique réactionnel - un mal rare que l'on rencontrait que chez certains polytraumatisés crâniens, résultant des séquelles d'un choc suffisamment terrible pour bouleverser la structure mentale profonde. Comme si le choc en question activait une région du cerveau qui n'aurait jamais dû se mettre à fonctionner, une de ces aires enfouies que l'évolution humaine délaissée pour des raisons mystérieuses, ou plutôt une de ces zones mortes qu'elle n'avait pas prévu d'utiliser avant des milliers d'années. Des aires cérébrales vierges.
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Dieu vaincu deviendra Satan. Satan vainqueur deviendra Dieu.
Anatole France, La révolte des anges
La colère et la peur, les deux carburants de la haine.
Le choc avait été si violent que Marie avait eu l'impression d'être un miroir explosant sous la puissance de l'impact. L'avant du camping-car s'était désintégré contre les troncs d'arbres et la cabine avait éclaté en mille morceaux. Les souvenirs de Marie aussi. Des millions d'éclats de verre qui rebondissent sur l'asphalte, des millions de particules de mémoire qui se dispersent, des odeurs de son enfance, des couleurs et des images. Toute sa vie qui s'enfuit. Les battements de son coeur qui s'espacent. Un froid immense.
- (....) Le vieillard vous hait et vous n'en savez rien. En expédiant Son fils sur terre, il avait un projet pour les hommes. Mais Il a perdu. Depuis, Il se soucie de vous autant que l'océan des gouttes d'eau qui le composent.
Cet envoyé du ciel que Carzo vient de reconnaître à la lueur de la torche, c'est le même qui a été chargé par Dieu d'annoncer la naissance de Jésus à la Vierge Marie. Le même qui a inspiré, six cents ans plus tard, les versets du Coran à Mahomet : l'archange Gabriel.
[...] Dieu et Satan parvinrent à un niveau si élevé de connaissance et d'ennui qu'au mépris de ce que l’Abîme éternel leur avait interdit, le premier entreprit de créer un univers de plus en son nom propre. un univers imparfait que le second s'évertua à détruire par tous les moyens pour que ce six milliard et unième univers ne vienne pas, par l'absence de son contraire, détruire l’ordonnancement de tous les autres.
11 février 1348, couvent-forteresse de Bolzano, au nord de l'Italie.
L'air s'amenuisant dans le réduit où elle achève de se consumer, la grosse chandelle de cire faiblit. Elle ne va pas tarder à s'éteindre, et dégage une écoeurante odeur de suif et de corde chaude.
Epuisée par le message qu'elle vient de graver dans la paroi à l'aide d'un clou de charpentier, la vieille religieuse emmurée le relit une dernière fois, la pulpe de ses doigts effleurant les encoches là où ses yeux fatigués ne parviennent plus à les distinguer. Puis, lorsqu'elle est certaine que ces lignes ont été gravées assez profondément, elle vérifie d'une main tremblante la solidité de la cloison qui la retient prisonnière. Un mur de briques dont l'épaisseur l'isole du monde et l'étouffe lentement...
- Vous êtes sur de vouloir y retourner ?
Parks hoche lentement la tête. La terreur qu'elle a éprouvée durant sa première séance d'hypnose fait encore battre le sang dans ses tempes. Carzo soupire.
- Ce qui m'inquiète, ce sont vos stigmates.
- Mes quoi ?
Le prêtre désigne le bras de Parks. La plaie qu'elle a rapportée de sa transe se résume à présent à une fine cicatrice en croissant de lune.
Le cross-killer, lui, est un migrateur, un dévoreur de cadavres, un grand requin blanc qui remonte le courant à la recherche de ses proies. Il est au sommet de la chaine alimentaire. C' est un être froid qui sélectionne ses cibles et contrôle ses pulsions. Il ne se laisse jamais déborder par elles, il n' entend pas de voix, il n' obéit pas à Dieu. Il n' a pas de comptes à régler, ni de revanche à prendre. Il était le fils unique ou l' aîné d'une famille heureuse. Son papa ne le violait pas, sa maman ne le soumettait pas à cet inceste affectueux qui vous tord le cerveau. Personne ne le battait. Il est né comme ça : avec des sorcières penchées au-dessus de son berceau.
Comme le tueur en série, le spree-killer ou le mass-murderer, le cross-killer est fou. Mais, à la différence des autres, lui sait qu' il est fou. Et c' est cette conscience aigüe de ce qu' il est qui lui permet de compenser cette folie par un comportement remarquablement stable. L' équilibre est dans le déséquilibre.