Ce qu'il y a de drôle chez les filles qui font le tapin, c'est à quel point elles ont envie de rendre service. Elles ont toutes bien regardé la photo, et certaines ont dit qu'elles l'avaient peut-être déjà vue quelque part - pauvre Nadine, la fille invisible - et qu'elles ouvraient l'oeil. Mais l'autre truc avec les prostituées, c'est qu'elles n'ouvrent jamais l'oeil. Elles en sont incapables. Si elles le faisaient, elles verraient ce qu'il y a de pire en ce monde.
Ce n'était pas que planer procurait un plaisir particulier, surtout pas quand on se piquait depuis aussi longtemps que Yonah. On pouvait à peine appeler ça planer. C'est que rien d'autre ne faisait mal. La douleur physique, la souffrance morale, les souvenirs, la honte, n'existaient plus. Rien ne comptait plus. C'était comme si la drogue vous élevait à quelques mètres à peine au-dessus des autres, juste assez pour ne pas avoir à vous préoccuper de tous les problèmes insignifiants du monde. Ces problèmes ne vous concernaient plus désormais. Quelqu'un d'autre pouvait bien s'en inquiéter. Vous pouviez observer tout ça sans rien ressentir. Pendant ce minuscule laps de temps, vous aviez tout ce dont vous aviez besoin, tout ce que vous aviez toujours désiré.
Maud a prononcé mon nom sans conviction, comme si j'étais morte ou qu'elle aurait aimé que je le sois.
Mettre à manger sur la table et acheter quelques robes ne compensent pas des années de déception. Parce que c'est ce que font les drogués : ils déçoivent les gens. Ils disent qu'ils seront là pour le dîner à vingt heures et se radinent à huit heures le lendemain matin. Ils disent qu'ils s'occupent du loyer et puis se servent du fric pour se payer de quoi se piquer. ( p 105/106 )
Quand je suis sortie de l'Automat, il ne pleuvait plus et je me suis promenée un moment. Times Square était plein de touristes en train d'admirer les néons. Ils n'avaient peut-être pas l'électricité chez eux.