Kleinert continuait d'une voix de plus en plus exaltée. Ivana mesurait à quel point cette enquête avait détruit ses illusions mais l'avait développé en tant que flic. Il en sortait plus grand, plus fort, et cela confortait la conviction d'Ivana : les flics poussent sur du fumier.
Les chasseurs comme son grand-père qui pouvaient passer une soirée à vous expliquer la beauté d'un grand cerf immobile dans le couchant et qui n'avaient comme réaction immédiate que de lui tirer dessus lui faisaient penser à un mélomane qui, ému aux larmes après avoir écouté le Requiem de Mozart, n'aurait rien de plus pressé que d'en brûler la partition.
L’explication provenait plutôt de son côté tâcheron. C’était comme lorsqu’il conduisait sa Volvo. Il prenait le volant, s’appliquait à bien conduire et ne profitait plus du paysage. Trop concentré, le gars. Voilà pourquoi il n’était pas un bon coup. Trop sec, trop coincé, trop appliqué. Les femmes, avec leur instinct au bord des lèvres, sentaient que ce colosse trop viril était un pisse-froid, un cérébral, le contraire d’un jouisseur. On allait dîner avec un mec qui compte les calories au lieu de savourer le menu.
Il vomissait la société d’aujourd’hui prétendant tout interdire au nom du bien. Jamais il ne contribuerait à cette dictature larvée, écœurante, la pire de toutes : celle de la bonne conscience.
– Les nounous, c’est comme les flics.
– Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Si vous mettez de l’affect dans votre boulot, vous perdez toute impartialité. Vous devenez faible, vous faites du mauvais boulot.
La plupart des gens pensent qu’ils seront « complets » ou deviendront enfin ce qu’ils sont quand ils auront réalisé leurs projets, mais ce sont au contraire ces promesses jamais tenues qui les constituent, qui les fondent en profondeur. Nous sommes tous des mutilés de nos rêves.
Tout ça pour ça, se dit-il. Des siècles de guerres, de combats politiques, de luttes sociales, de privilèges jalousement défendus, pour obtenir deux clowns appelant des putes avant de traquer un cerf dans la forêt. L’évolution darwinienne n’était pas avare de déceptions.
Quand on l’avait repêché dans le torrent, ouvert de bas en haut, exsangue, il était rempli de flotte comme une outre de trappeur. A ce moment là, il était encore conscient – conscient de quoi, on se le demande.
Il est facile de tuer. Il suffit d'accepter de mourir.
Même quand nous formons, éduquons, entraînons nos adversaires, ils ne peuvent rien contre nous. C'est l'irréfutable preuve que l'inné ne peut jamais être supplanté par l'acquis. Le sang est tout et l'enseignement, un pauvre espoir pour la plèbe.