Citations sur Lontano (178)
Son père, sans ironie, avait alors clamé en lui frappant l’épaule : « Le berceau de notre famille, mon gars ! » La formule sonnait bizarre : d’ordinaire, Morvan se flattait plutôt d’appartenir à une lignée d’aristocrates bretons, les Morvan-Coätquen.
Erwan n’écoutait plus. Depuis son arrivée, il ressentait. Odeurs, couleurs, chaleur. Ils avaient atterri à Kinshasa la veille, à cinq heures du matin. En descendant de l’avion, il avait découvert les tons de plomb fondu et les odeurs de décomposition de l’aube.
En 2001, Kabila s’était fait assassiner et son fils Joseph lui avait aussitôt succédé. Dix ans plus tard, la guerre continuait toujours à l’est et la RDC était le dernier pays au classement de l’indice du développement humain des Nations unies. La pire terre où voir le jour…
Après le génocide du Rwanda, les Tutsis avaient poursuivi les milices hutues jusqu’au Congo. Ils en avaient profité pour chasser Mobutu du pouvoir et bombarder Laurent-Désiré Kabila président, lequel s’était empressé de se retourner contre ses alliés, déclenchant une deuxième guerre du Congo entre armée régulière, militaires tutsis, réfugiés hutus, milices rebelles, Casques bleus…
– Derrière, c’est Moïse Katumbi Chapwe, le gouverneur du Katanga…
Erwan trouvait qu’ils avaient tous la même tête, heureusement celui-là était métis et portait un stetson de Texan. D’après ce qu’on lui avait raconté, Katumbi était une figure locale. Millionnaire, philanthrope, président d’un club de foot, il était un des hommes les plus populaires du gouvernement Kabila.
– Richard Muyej, le ministre de l’Intérieur de la RDC. Très dangereux.
Erwan n’y connaissait rien en politique africaine mais il savait au moins ça : Omar Bongo, président du Gabon pendant plus de quarante ans, avait été un des plus redoutables chefs d’État africains et un « ami indéfectible » de la France, irriguant l’Hexagone de pétrole. Son fils Ali avait repris le flambeau.
Le pire de tout, c’était la chaleur. Elle brûlait la moindre molécule de vie, la faisant grésiller comme un lardon au fond d’une poêle.
Pourtant, en y regardant de plus près, on découvrait des failles. Couverts de poussière, les uniformes étaient mal cousus. Le chapiteau monté de travers. L’orchestre jouait faux, chaque phrase musicale finissant dans un couinement de pet. Les cymbales n’étaient que des couvercles de bassine.
Un portrait de Nseko, encadré de dorures, surplombait la bière recouverte du drapeau de la République démocratique du Congo – fond turquoise barré d’une diagonale rouge et jaune et frappé d’une étoile, jaune également. Les croque-morts et les membres de la fanfare étaient vêtus d’une livrée vermillon. La classe.
Placés dans le deuxième groupe, celui des Blancs, les Morvan père et fils attendaient leur tour. Le dais qui abritait le cercueil rappelait, avec ses fleurs et ses drapés pourpres, la loge d’une diva.