Citations sur Federica Ber (41)
La jeunesse est un lent bûcher, où brûle ce qu'on a de meilleur.
Aux premières lueurs de l'aube, j'ai eu un sentiment de victoire. J'avais fait le tour de la nuit. Une nuit, c'est finalement peu de chose : on peut la tenir dans une main, comme une boule de papier trempée dans un bain d'encre, qu'on a le loisir de déplier, d'étaler devant soi, d'observer. Je pourrais collectionner les nuits, me suis-je dit, les faire ternir côte à côte sur une étagère, légères et profondes...
La jeunesse se décompose mais ne disparaît jamais. Nous sommes jeunes à n'importe quel âge, même à l'âge le plus avancé, même si notre jeunesse est devenue un monstre qu'il nous est difficile de regarder. (p.88)
Le silence, lorsqu’on le pratique à deux, possède une valeur particulière.
Je hochai la tête, n’en revenais pas. Pendant vingt ans, la vue avait séjourné dans un coin de ma tête, intacte, comme une photographie rangée dans une enveloppe, au fond d’une boîte. Même d’insignifiants détails m’étaient restés, une trace noire sur le muret, un carreau fendu…
Le silence, lorsqu’on le pratique à deux, possède une valeur particulière. Chaque seconde est précieuse. Il devient une sorte de construction imaginaire, appuyée sur deux consciences.
Après la jeunesse il n'y a rien, la maturité est un leurre, il n'y a que la jeunesse qui existe et elle se prolonge jusqu'à l'extrême fin. Seulement, c'est une jeunesse dégradée, travestie, clandestine. La jeunesse se décompose mais ne disparaît jamais. Nous sommes jeunes à n'importe quel âge, même à l'âge le plus avancé, même si notre jeunesse est devenue un monstre qu'il nous est difficile de regarder.
Je n'irai pas, me suis- je dit en tournant le coin,de la rue Faubourg-Poissonnière, jusqu'à remplir ce verre et le poser à côté du mien, dans la tour de guet. Je n'irai pas jusqu'à lui servir un verre au début de chaque repas. Ce rituel ne va pas s'installer. Je n'irai pas, à la fin du repas, jusqu'à prendre ce verre et, serrant avec la main gauche la bordure du parapet, à lancer son contenu le plus loin possible, comme si j’espérais que les particules de vin restent suspendues dans le vide, ne retombent pas et, poussées par le vent -ou par le mouvement giratoire du globe terrestre- dérivent vers elle.
Ou peut-être que si, j'aurai cet espoir.
Je n'ai pas fait le compte de mes espoirs. Je n'ai pas fais le tri. J'ai décidé de leur laisser le temps. Ils font connaissance, ils se jaugent. C'est cela l'attente, je l'ai compris il y a peu. Le temps qu'il faut donner à l'espoir pour qu'il prenne ses forces, pour qu'il dessine ses propres contours, pour qu'il s'avance.
L'attente n'est pas le contraire de l'action. Elle en est le point de départ, l'amorce. C'est dans l'attente que l'action se prépare. C'est au moment de l'attente que l'esprit, très progressivement, par un effort imperceptible mais constant, en exerçant une pression continue, comprime les ressorts de l'action.
Le dernier soir, j'avais glissé dans sa poche mon numéro de téléphone, griffonné sur un bout de papier. Elle ne m'avait pas donné le sien en échange, pas plus que son adresse en Italie. C'était donc à elle de me rappeler, à son retour. Mais je savais qu'elle n'appelait pas volontiers. Le ferait-elle, malgré tout? Elle ne m'avait rien promis. Elle ne promettait jamais rien. De toute façon, je comptais me rendre à la salle de jeux, bientôt. Je sentais que nos retrouvailles, pour s'accomplir, devaient contenir une part de hasard. Il fallait qu'elles ressemblent à notre première rencontre. Qu'elles se situent dans la continuité de ce moment originel. Se téléphoner eût été banal. On ne s'appelle pas au téléphone, à l'heure qui vous est commode, lorsqu'on s'aventure sur les chemins de crête de la vie...
Des croissants achetés avant l'ouverture du magasin... N'était-ce pas le grand luxe? J'éprouvai pour elle, à cet instant, une sorte d'admiration. Un sentiment à la hauteur des circonstances: nous étions sur les toits de Paris, après une nuit à la belle étoile. La ville s'étalait à nos pieds, le soleil se levait pour nous. Tout était ample, accessible. Le monde nous parlait à l'oreille...
Et, tout cela, c'était grâce à elle.