Voyage sans cartes

La vie d’un individu est, sur bien des points, comparable à un jeu de patience dans lequel un enfant rassemble les fragments épars d’une carte géographique.

La Civilisation, en ce qui concerne la Sierra Leone, c’est la ligne de chemin de fer qui mène à Pendembu et le chiffre croissant de l’exportation des palmistes ; la civilisation, c’est aussi les Frères Lever et les prix qu’ils contrôlent ; la civilisation est le long bar du Grand Hôtel, les salaires de six pence.

On n’a plus besoin de condescendre ; on en sait plus qu’eux sur certains sujets, mais ils en savent davantage sur d’autres. Et, dans l’ensemble, les choses qu’ils savent sont les plus importantes. Nous ne pouvons, comme eux, faire jaillir la foudre, notre fusil n’est qu’un perfectionnement de leur flèche empoisonnée et, à moins d’être médecin, nous ne savons pas guérir une morsure de serpent aussi bien qu’eux.

La brousse était un fouillis aussi peu intéressant qu’un jardin de banlieue qu’on a laissé à l’abandon et où les aspidistras du petit salon montent en graine et se multiplient parmi les herbes brunes desséchées et les hauts feuillages ratatinés.

Ces hommes marchaient en se donnant la main et riaient ensemble, d’un air somnolent, sous le soleil vertical aveuglant et cuisant. Parfois, ils se prenaient par le cou ; on avait l’impression qu’ils aimaient se toucher, comme si c’était bon de sentir que l’autre était là, tout près. Ce n’était pas de l’amour, c’était un sentiment que nous ne pouvons pas comprendre.

Je me trouve toujours déchiré entre deux convictions : la conviction que la vie devrait être meilleure qu’elle n’est et celle que, lorsque la vie semble meilleure, elle est en réalité pire.

Les hommes les plus résistants sont incommodés par la chaleur, et même les paysans les plus épais n’y peuvent résister. 

Il était difficile, dans les conversations, d’éviter les commentaires sur la fièvre. On avait beau parler religion, politique, littérature, on finissait toujours par tomber dans la malaria, la peste, la fièvre jaune.

Lorsque, en de rares occasions, la beauté et le grandiose coïncident, on ressent une impression propre au théâtre ou au cinéma : c’est « trop parfait pour être vrai ».

Il n’y avait que pour l’Argentine, vous deviez même donner vos empreintes digitales un mois d’avance, afin que Buenos Aires et Scotland Yard puissent entrer en rapport. Et tous les malandrins du monde allaient en Argentine !