Pour son premier voyage en Afrique, en 1936,
Graham Greene fait fort : il choisit le seul pays qui n'ait pas été colonisé par les puissances occidentales et (donc) sans cartes, sans routes, sans trains, un pays vierge en somme.
Une société philanthropique américaine a eu l'idée (humanitaire ? cynique ? bon débarras ? ) d'envoyer, en 1822, au « Libéria », pays inventé, des esclaves noirs libérés, dont la devise est « l ‘amour de la liberté nous amena ici ».
Ironie de l'histoire, les colons ex esclaves américains sont des colons.
Depuis la Sierra Leone, où
Graham Green reviendra dans d'autres circonstances, il entend surtout parler d'une situation catastrophique, des maladies graves( éléphantiasis, paludisme, fièvre jaune,)ainsi que de l'impossibilité pour un Blanc de pénétrer dans la République du Libéria.
Il y arrive tout de même, accompagné de sa soeur, des porteurs (les hamacs, le whisky) en suivant les frontières du pays, en nous dessinant une carte (celle venant d'Angleterre était en blanc, comme dans Conrad, celle du Département de la guerre américain portait mention « cannibales »). le sienne suit son parcours, avec le nom des villages.
Et en joignant à son livre des photos.
Parce qu'en réalité, il ne verra que peu les habitants de la capitale Monrovia, ni les politiciens ex/ esclaves. Son voyage est une marche entre les villages, avec, oui, les dangers des maladies, des léopards et des éléphants, et aussi des sociétés secrètes pratiquant le cannibalisme. Il se prend une chique dans le pied, il finit par ne même plus faire attention aux cafards, aux fourmis dévoreuses, aux serpents, ni aux rats.
Il est, il y est, il découvre que dans certaines conditions limites, la joie s'instaure, inexplicablement. GG parle plusieurs fois de la psychanalyse, du besoin d'aller voir en soi même des sentiments inexplorés, alors, à mesure qu'il entre dans un pays inexploré, avec l'extrême fatigue de ces marches dans les sentiers, il découvre un formidable sentiment de bonheur.
« J'éprouvai, dit-il, de nouveau un sentiment heureux de liberté ; on n'avait qu'à suivre un sentier assez longtemps pour traverser tout un continent. ».
Il finira par éprouver beaucoup de tendresse pour les serviteurs et porteurs qu'il a recrutés. Ils ont vécu la même aventure, car c'est une aventure, ils ont souffert des mêmes maux. Les villageois visités leur offrent gite et souvent couvert, ils aiment leurs enfants, ils sont pauvres et doux. Beaucoup d'admiration aussi pour les religieux, petite annexe de l'Angleterre « dont on pouvait s'enorgueillir ; colonie pleine de douceur, de piété, de candeur et d'abnégation, qui ne savait même pas qu'elle était courageuse. »
Enfin, il analyse les danses, parfois mimant l'acte sexuel, parfois tout à fait neutre, l'accompagnement par les masques à robe de raphia, les danses aboutissant à la transe, la musique qui dure toute la nuit, et certaines petites filles, aussi, les seins nus, jouant de leur beauté devant lui comme des chattes.
Le Temps n'est plus divisé et mesuré: les porteurs et lui comptent par journée de marche, les montres de toute façon ne fonctionnent plus.
GG rapporte la remarque de Stanley sur son lit de mort, entendant sonner
Big Ben : « voici donc le Temps ». En Afrique, « il faut cesser de compter fût-ce les jours, les semaines et les mois ».
Autre aspect que j'ai adoré dans ce livre, qui touche de très près à la réalité d'une certaine Afrique éloignée de la civilisation, et pourtant ravagée par les fièvres, la saleté et la faim : la constante comparaison que fait GG avec la pauvreté du temps des Stuarts.
Lui, le catholique, qui a contemplé les maléfices des sorciers, le surnaturel des sociétés secrètes et leurs rites d'initiation, s'indigne, lorsqu'ils arrivent à « la Côte, » Grand Bassa, de ce que l'homme a fait du primitif, représentant l'enfance humaine.
Jamais je n'aurai lu ce livre sans Idil @bookycooky, la seule à avoir chroniqué
ce livre et à nous avoir donné envie de le lire.
Je la cite : « Si vous aimez la prose de Greene, les histoires intéressantes, l'Afrique et voyager, ou juste l'un d'eux, ne passez pas à côté, un livre passionnant. »
Merci Idil, de m'avoir permis ce voyage particulièrement intéressant.
Pour