Je ne suis pas une aventurière. Je n'aime pas les surprises, j'ai besoin de tout anticiper, de tout organiser. L'inconnu m'angoisse, le manque de contrôle me tétanise. Je me suis enfermée dans cette bulle rassurante, les mêmes lieux, les mêmes personnes, les mêmes trajets. Je refuse systématiquement tout ce qui se trouve à l'extérieur de ce périmètre.
Je savais bien qu'elle avait un double visage, il faut se méfier de la cruche qui dort.
Quand ma mère est venue me chercher dans le bureau de Mme Laroche, elle avait la même tête que quand elle va éternuer. Faut dire qu'elle ne m'a ps loupé, la Manon, je lui demanderai la marque de ses ciseaux. Ça fait comme une frange deriere la tête. ,
J'ai un placard entier d'objets dont je n'ai pu me séparer. Leur premier pyjama, leur première sucette, tous leurs dessins, même ceux qui ne ressemblent à rien, les "cailloux tout doux" que Lily me rapportait chaque soir de l'école, le plâtre de Chloé, leur doudou, leurs dents de lait, leurs premières chaussures, le mobile qui leur chantait des chansons jusqu'à ce qu'elles s'endorment. "Doucement, doucement, doucement s'en va le jour ...", et tellement d'autres souvenirs. J'y plonge rarement, parce que la nostalgie me submerge. On m'avait prévenue que le temps filait. Je n'imaginais pas à quel point.
Je suis lucide. Trop. Mais ça a aussi de bons côtés. Je suis une bonne amie, qui comprend, qui ne juge pas. Je me remets facilement en question. Je suis attentive aux jolies petites choses que l on croise souvent sans les voir. Mes joies sont décuplées.
Tout ce que je ressens est décuplé. Je grouille d émotions, je fourmille de sentiments. Je pleure souvent. De tristesse, de joie, de rage. Je m oublie au bénéfice des autres. J ai tellement d empathie, je peux tellement comprendre les autres que j en suis influençable. Je suis incapable d avoir un avis tranché.
Chaque action,même la plus insignifiante en apparence,a des répercussions.Les parents sont des funambules.
J'avais huit ans et j'étais fille unique.Mon père avait trente ans et il était parent unique.Mémé avait cinquante-quatre ans et elle n'avait plus d"enfant.
Je crains de faire une attaque de panique et de ne pas réussir à la gérer. Je redoute de perdre connaissance et que mes filles se retrouvent seules. Je suis terrorisée à l'idée de ressentir ces symptômes terribles. Les symptômes de la peur. En fait j'ai peur d'avoir peur. J'ai peur de moi.
Même quand elles auront cinquante ans, nous serons ensemble.
Nous possédons quelque chose qui ne disparaîtra jamais.
Nous sommes une famille.