La Part des choses

Et toi ? Qu'est ce que tu comptes faire pour changer leur condition ? De la politique, du...
De la politique ? Tu rigoles. C'est le bon moyen de n arriver à rien
Ah ! Si : au fascisme. En disant des choses comme ça, tu y vas tout droit. Les cons que nous sommes vous ont tout de même évité ça jusqu ici.

Toutes ces dames très émues par leurs émois, tous ces jeunes gens qui ont aimé leur soeur et qui ne sont pas Chateaubriand ...c'est à vous décourager d'écrire...

T'es grandes tirades humanitaires, ça ne se cultive que dans les bureaux de l'Unesco, dit Ivan. Sur place, les mêmes salauds continuent à s'engraisser sur le dos des mêmes types qu'ils laissent crever.

C'est glaçant, m'avait dit Yves une fois où nous parlions de la vie à deux, de penser que le mariage devient presque à tous les coups une entreprise de démolition de l'individu, de sa liberté, de son enrichissement trouvé en dehors du couple. C'est déjà un beau tour de force de vivre heureux toute son existence avec quelqu'un, tu ne trouves pas... sans qu'on cherche à rendre le chemin trop étroit.
Je trouvais, bien sûr. Mais je trouvais aussi que c'était un beau tour de force de vivre malheureux avec quelqu'un et d'en rire.

C'est à l'état de regret que certaines choses sont bonnes.

Demeurer, ce n'est pas seulement habiter quelque part, c'est y rester. On ne demeure plus aujourd'hui ; on réside çà et là, on déchiquette le temps en lambeaux, la terre en morceaux interchangeables ; on annule la nature, on tue les saisons : on exige le Kenya en janvier, la piscine en plein air dans la neige, la télévision dans les caravanes, et la Russie des tsars en Union soviétique pour une somme dérisoire et forfaitaire. En face des déserts climatisés, des circuits aseptisés au pays du choléra, du pôle Nord vu au chaud dans un Boeing, que peut peser ce petit pays qui s'appelle Breizh dans l'intimité avec ses quatre saisons dont deux mauvaises - et one ne peut jamais prévoir lesquelles, grâce au ciel -, et avec son Atlantique difficile, avec ses camélias de février et ses ajoncs d'octobre dont personne ne profite, ni ceux qui habitent parce qu'ils sont habitués, ni ceux qui habitent pas parce qu'ils sont toujours ailleurs ?

[...] Aven et Trévignon, là où les champs cultivés descendent jusqu'à la mer, où l'on attache les bateaux aux arbres du rivage comme des bêtes, où les deux univers, terrestre et marin, entremêlent leurs frontières et s'échangent du terrain toutes les six heures dans la douceur beige des plages.

Quand on peut s'asseoir au cœur de son jardin avec la sensation béate d'être au centre du monde, quand on sait que par vent du sud-est on entendra la bouée sifflante de Merrien et qu'on l'entend [...] quand on s'obstine à trouver que le fschschsch des vagues sur sa plage est plus émouvant que tous les autres fschsch, quand enfin on éprouve le besoin de retrouver l'odeur de son pays, comme un médicament, chaque fois que l'on est malheureux, pourquoi courir ailleurs ?

Et tout à coup cette joie dont je ne peux rien dire sinon qu'elle est insensée. Mais il faut l'accepter comme insensée, admettre que tout bonheur ne peut être qu'insensé mais le vivre intensément.
IONESCO

- Tu vends la peau de l'ours avant de l'avoir filmée ! lui disais-je, réticente par principe devant les coups de chance tout en sachant fort bien qu'ils favorisent seulement ceux qui ont la foi. Mais quitte à manquer ma chance, je refuse d'avoir la foi, n'ayant jamais pu m'empêcher d'attribuer une sorte de valeur morale à la malchance, comme si elle était la marque d'une supériorité de caractère, et d'en vouloir à Yves des faveurs que la Providence lui envoie, comme si elles étaient le résultat de quelque compromission ! Ce voyage ressemblait trop à un conte de fées pour être honnête... et je ne manquais pas une occasion de la dénigrer pour battre en brèche cet optimisme systématique, pour contrer son ange gardien qui lui fait retourner un as de trèfle au moment crucial ou rencontrer en pleine nuit dans un village de cinquante habitants un ami d'enfance qui va le tirer d'un mauvais pas. Je suis devenue son oiseau de malheur, annonçant avec une joie mauvaise qu'il fera sûrement un temps de cochon demain, que sa voiture fait un drôle de bruit, que ses impôts vont augmenter ou que Pauline va épouser un incapable, que nous entretiendrons toute sa vie.