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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est l'histoire d'un père célibataire et de son fils de huit ans lorsque le rêve américain est défaillant. Jakob Guanzon alternent deux récits : les 24 heures dans la vie d'Henry et Junior, le jour de l'anniversaire de ce dernier jusqu'au crucial entretien d'embauche du lendemain qui pourrait les sortir de la misère crasse qui les a ensevelis ; et le parcours passé d'Henry, ses relations difficiles avec son père immigré aigri qui a du abandonner ses ambitions universitaires pour travailler dans le bâtiment, sa rencontre avec la mère du petit dans un centre de désintoxication et les mauvais choix qui font tout dérailler.

Les flashbacks sont évidemment là pour éclairer le présent et expliquer comment Henry a sombré au point de dormir dans son pick-up avec son fils. La structure est impeccable pour faire comprendre ce qu'il se passe lorsqu'on ne nait pas du bon côté et que les opportunités de s'en sortir rétrécissent au fil du temps. Les analepses sont également là pour retarder le dénouement ( tragédie pressentie au plus profond ou alternative plus optimiste à laquelle on a envie de s'accrocher ?) et faire ainsi monter crescendo une implacable tension qui saisit le lecteur.

Rarement un auteur aura rendu aussi palpable les liens entre l'insécurité alimentaire, la précarité du logement, les défaillances du système de santé et de la justice pénale, et la toxicomanie, éléments souvent pris à part que l'auteur décloisonne ici brillamment pour composer une fresque de la pauvreté aux Etats-Unis qui vire souvent au brûlot politique.

Surtout, au delà de l'abstraction des statistiques, Jakob Guanzon parvient à décrire les effets de la pauvreté au quotidien avec une éloquence stupéfiante. Quand acheter cinq dollars d'essence pour amener son fils au MacDo est un luxe ; quand fourrer des sachets de ketchup dans sa poche pour apaiser une faim future et se gorger de soda en livre service pour se remplir le bide sont une nécessité ; quand payer une nuit dans un motel miteux mais avec télé, câble et bain chaud, est une petite folie.

Le choix des détails à la brutalité naturaliste, les métaphores surprenantes, l'écriture tour à tour poétique, crue, dure, font ressentir qu'être pauvre, c'est être constamment conscient d'être au bord du vide. Les titres de chapitre sont les sommes d'argent qu'Henry a en poche, comme si la valeur humaine se mesurait en dollars irréfutables. 89,34$ au départ qui font fondre jusqu'au terrible 0,38$ qui le conduit dans un Wal Mart dans l'urgence de voler.

« Les parois de verre glissent et s'écartent comme des mâchoires latérales pour avaler Henry dans l'atrium où sont rangées les caddies. Une langue de lino éraflé, un plafond bas qui vibre, et de l'autre côté d'une deuxième porte automatique se tien le gardien de ces vastes entrailles fluorescentes, un homme branlé comme une rognure d'ongle qui arbore un gilet bleu et un sourire absent, un rouleau d'autocollants smileys brandi devant lui comme une assiette de collection. Un train de chariots craque et claque au rythme de l'incessant bourdonnement du magasin qui semble venir de l'au-delà. Impossible de savoir s'il est élyséen ou infernal, mais il est sans aucun doute éternel. Une telle abondance est étourdissante et Henry se sent tout petit, il devient un modèle réduit qui, il l'espère passera inaperçu. »

Cette scène dans le temple du consumérisme est incroyable, l'abondance obscène est à portée de vue de tous mais pas à porter de mains pour un laissé pour compte comme Henry.

Le roman est en soi un tour de force car jamais il ne sombre dans un misérabilisme clignotant, ni dans le pathos que la présence d'un enfant de huit ans au milieu de tout ça pourrait faire craindre. Il fallait qu'il y ait un enfant pour écarter de la tête du lecteur la petite chanson de la responsabilité. Henry n'est pas un coeur pur, il est victime mais aussi acteur de sa décadence par des mauvais choix révélés progressivement. La présence de Junior complexifie la réflexion sur la pauvreté.

Et puis, il y a ses passages si beaux sur l'amour d'un père qui veut rectifier les conséquences des erreurs passées mais dont les tentatives sont sapés par l'implacabilité d'un libéralisme qui frappe fort. Ce roman brise le coeur, le fracasse contre une enclume en granit mais la dignité que l'auteur confère à ses personnages est telle que l'on a plus envie de crier à l'injustice, de s'indigner que de verser des larmes. Dévastateur.

« Les frissons secouent le garçon quelle que soit l'intensité avec laquelle Henry tend ses biceps. Mais une part de lui surfe toujours sur la vague fierté qui se retire lentement et c'est peut-être cela qui l'aide à voir que, malgré tout, il a encore suffisamment de force pour tenir le monde entier entre ses bras fatigués. Il serre et berce Junior. Son fils, son homonyme, son héritage. le symbole vivant qui prouve de façon irréfutable – malgré tous les vents contraires et toutes ses failles – que le passage d'Henry sur cette terre n'aura pas été complètement foiré, qu'il aura au moins fait une chose de bien. »
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Junior huit ans et son jeune papa Henry dans l'Amérique de toutes les espérances, vivent dans un pick-up, les vêtements empilés dans des sacs poubelles de 90 litres, ils y cuisinent, y dorment ….Le père est sans emploi, la mère a disparu.
Henry revient de loin. Orphelin de mère et d'un « connard de père » immigré, philippin, il va lui-même faire très jeune beaucoup de conneries , qui l'enverront derrière les barreaux. Pourtant ce dur ne vient pas d'un milieu défavorisé et sait goûter un plaisir aussi simple et pur que sentir le soleil sur son visage.

Roman étrange, qui alterne passé et présent, celui d'Henry avec des titres de chapitre indiquant les montants d'argent dans sa poche /
Paradoxe entre un enfant de huit ans qui n'a aucune responsabilité dans cette pauvreté et un père qui vu son casier de décisions discutables ou carrément débiles en porte la responsabilité totale /
Un texte surprenant aux personnages à la psychologie fouillée où des moments très durs s'alternent avec ceux d'une sensibilité et d'une tendresse extrêmes, déstabilisant le lecteur/
Portrait d'une Amérique miteuse de consommation avec ses centres commerciales toujours affolés, ses motels minables, ses club de striptease hideux, ses MCDo graisseux, ses parcs de mobile homes où règne une désolation affligeante de caddies renversés, d'emballages de fast food qui se décomposent, de sièges de voiture abandonnés/
Galerie de portraits surprenants, Michelle, la compagne d'Henri , « Avachie dans une chaise de jardin en aluminium, les jambes écartées comme si elle était en train de bronzer, bien qu'elle fût vêtue de la même tenue qu'elle avait portée pendant tout son séjour à l'hôpital  : un hoodie zippé jusqu'aux clavicules, un jean en lambeau apparemment maintenu par un assortiment d'épingles à nourrice façon orthodontie et la même paire de Doc Martens, à ceci près qu'elle avait maintenant des lacets mollement passés dans les oeillets. Elle s'était teint les cheveux en blond peroxydé et une ligne de racines noires courait sur son crâne comme une iroquoise aplatie. Elle était tellement resplendissante que, pour la première fois, il regretta de ne pas être créatif, un artiste. », Henry , « À cet instant, plus que depuis bien longtemps – peut-être même plus que jamais – il a le sentiment d'être un Américain. », citation bouleversante résumant le personnage , qui habillé correctement pour un interview d'embauche, vu sa misère quotidienne , son physique de métisse et son passé de taulard a rejoint dans sa tête et malheureusement dans la réalité la horde de marginaux du pays, non désirée.

Récit qui démarre lentement mais dont le rythme et les événements s'accélèrent très vite, si bien qu'impossible de le lâcher. La fin du rêve américain y est présente avec tout ses ingrédients alcool, drogue, précarité de logements et de travail, malnutrition, maladies, défaillance de la sécurité sociale, défaillance du système de réinsertion pour ex-condamnés…..L'argent y fait office de yoyo, jamais un revenu ou une entrée stable, et le montant présent en cash chez Henry faisant titre de chapitre nous met sous pression, trop voulant signaler que ça va mal finir, très peu de même. Un procédé intéressant que Guazon utilise pour exprimer la valeur d'une vie humaine à travers son pouvoir d'achat, avec des scènes terribles à l'école de Junior et aux urgences du Walmart, d'une Amérique impitoyable envers les démunis.

Un premier roman puissant au titre trompeur d'une fin grandiose et tragique, qui débute dans un MCDo et se termine dans un Walmart, l'institution symbolique du giga consumérisme américain, image du droit au confort matériel attribué à tout américain par la naissance , mais refusé à Henry à cause de sa situation de pauvre. Une image peu luisante du gendarme du monde ! Finaliste du Man Booker Prize 2022, un roman que je recommande fortement, surtout ne passez pas à côté !

« Il y a plein de choses dans ce monde qui méritent qu'on se mette en colère, Henry, mais pas assez pour être en colère contre le monde. »

Un grand merci aux éditions La Croisée et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre surprenant !
#Abondance #NetGalleyFrance
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« Les pauvres, c'est fait pour être très pauvres ! » (Louis de F.)

Une couverture qui n'invite pas à la découverte, mais un éditeur qui m'a souvent séduit par le passé. Des chroniques louangeuses qui commencent à tomber, mais j'hésite toujours. Et enfin ma libraire préférée qui me le glisse entre les mains.

C'est donc parti pour Abondance, premier roman de Jakob Guanzon, traduit par Charles Bonnot et dès la page 9, cette longue et énigmatique colonne de sommes en dollars me fait sentir le parfum de la – très - bonne pioche.

Il y aurait mille façons de résumer Abondance, mais aucune ne rendrait parfaitement la puissance narrative et émotionnelle de ce livre, de ces 24 heures dans la vie d'Henry qui a tout perdu sauf son fils, son pick-up et son instinct de survie.

Alors juste dire la beauté de cette histoire d'amour infini. Amour sans bornes d'Henry pour Junior, quand chaque quarter, chaque nickel, chaque penny durement gagné ne trouve de sens que dans la survie de l'enfant, dans un sourire ou un merci arraché.

« Un enfant ne devrait jamais arrêter de sourire le jour de son anniversaire »

Amour impossible d'Henry pour Michelle, sa femme, dont les propres démons ne peuvent se fondre dans ceux de son mari, renvoyant chacun à sa solitude et à ses turpitudes, laissant Junior abandonné dans ses tiraillements.

Amour autrefois dissimulé de Itay pour son fils Henry, affrontement permanent de deux taiseux à la fierté mal placée, conditionnée par la reproduction des schémas éducatifs antérieurs, sans arriver à interrompre cette spirale vicieuse qui conduit au drame.

Juste dire aussi la force du récit de Guanzon qui, après tant d'autres, dit l'Amérique des laissés pour compte, celle où un simple hamburger et un peu d'eau chaude ressemblent au comble du confort.

Ici, pas de questionnement sur le rêve américain et la possibilité d'une ascension. Juste un récit de survie, entre larcins, prison, chauffage à la bougie, mobil home insalubre, « pleins » d'essence de quelques dollars et système de santé hermétique à la simple notion d'humanité.

« Ces sacs à merde empochaient dix pour cent pour un chèque de moins de cinq cents dollars mais seulement sept pour cent pour les sommes supérieures – pourquoi devrait-il payer plus pour avoir moins ? Ça coûte cher d'être pauvre… »

Et pourtant, malgré cette misère et cette désespérance, ce livre est magnifique, déchirant et beau comme le combat d'un homme conscient de ses faiblesses et de ses erreurs, qui tant que ses deux jambes le portent, continue la tête haute mais pleine de doutes, d'avancer et de se battre.

« Tout ce qu'il veut, c'est être comme n'importe lequel de ces gens, ces Américains qui font de leur mieux avec le rien du tout qu'ils ont, un jour et un achat après l'autre. »
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A travers l'amour d'un père pour son fils, Jakob Guanzon critique aussi la société de consommation vue par ceux qui n'ont jamais pu y avoir accès mais se contentent de la scruter de l'extérieur. La jeunesse de son héros, Henry, se déroule en filigrane, le passé rattrapant le présent et son errance auprès de son enfant de huit ans. La plume de l'auteur oscille entre poésie ciselée et glauque triste, bondissant d'un extrême à l'autre, parfois dans une même phrase, ce qui contribue à la beauté singulière de ce premier roman (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2023/01/20/abondance-jakob-guanzon/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Profondément dérangeant, ce livre ne m'a pas fait vivre que de bons moments. Et pourtant sa puissance d'évocation emporte tout. C'est un livre douloureusement nécessaire, écrit dans une langue tantôt râpeuse, tantôt poétique, tantôt , tantôt…étrange. Langue des losers, des toxicos et des métisses, langue du mid-West et langue des pauvres.

Jakob Guanzon écrit là un premier roman à la maturité sauvage et à l'engagement sans concession.
Il pulvérise le rêve américain en décrivant une inexorable descente aux enfers.
24h de la vie d'un homme et de son fils de 8 ans, Henry et Junior, vivant dans leur pickup.
Chaque chapitre est précédé de la somme d'argent qui restera à la fin de celui-ci.
En alternance, analepses et flashbacks nous racontent comment des universitaires peuvent basculer dans la déchéance sociale : racisme, système de santé,chômage etc… et comment leur fils, implacablement, descendra l'échelle sociale jusqu'au bout du bout : drogues, mauvaises rencontres, prisons etc…
Ce livre est dur car on se prend à espérer et, en même temps, on sait que c'est foutu, Henry sera broyé par le système.
Toutes les stratégies de survie sont minutieusement décrites : bouts de savon récupérés , utilisation des matériaux de récupération etc…
La vie dans les concentrations de mobil-home donnent lieu à des scènes surréalistes tout comme la description du marché aux esclaves où on embauche chaque matin les journaliers.
Et puis il y a cet énorme chapitre où Henry doit traverser tous les rayons « d'abondance » d'un Walmart pour voler de…l'Advil.

On ressort de ce livre essoré, soufflé et terriblement en colère.
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Chaque passage de ce bouquin est un coup porté.

Au coeur d'abord avec cette ouverture dramatique du titre sur un père qui racle les fonds de poche pour fêter, sans ses copains, l'anniversaire de son gamin dans un McDonald, ambassade américaine de la malbouffe. Soulagé que le p'tit ait choisi un des snacks les moins chers du menu, car leur survie en dépend. Chaque chapitre est subtilement intitulé par le montant de fric qu'il reste au héros, et c'est jamais l'jackpot.

Au foie ensuite avec une succession de choix douteux faits par ce même père, en guise d'évasion d'un des carcans que l'Amérique te réserve . Les paradis temporaires que choisit notre héros ne sont qu'un raccourci direct vers l'enfer de l'addiction et de la polytoxicomanie, mais hey tant que ce sont des Marlboro, ça fait cow-boy américain, donc tout va bien non ? Et puis si on arrose le tout de whisky bon marché ca rappelle l'époque de gloire du Moonshine de contrebande n'est-ce pas ?

Un coup à la tête qui sonne et abrutit comme une vieille gueule de bois, quand on se rend compte hagard que le rêve américain n'est qu'un leurre. L'American Dream est un boniment ayant juste aidé à peupler une terre colonisée qui crache sur son histoire et ses basanés, surtout quand t'as pas une bonne gueule de blanc au sourire Colgate. La seule vérité dans le pays de tonton Sam tient sur 156x66mm. Oui. Ce bon vieux ticket vert d'un dollar, le monde tourne autour de ça.

Un bon coup dans le dos car même quand t'as payé ta dette à la société en goûtant au donjon et en laissant le soleil aux plus respectueux de la loi, t'auras toujours ton fardeau à te trimballer comme un bousier qui se roule son merdier. La rédemption et le pardon tout ça c'est de la flute de religieux, In god we trust qu'il disait, sauf quand il ne t'écoute plus depuis bien longtemps.

Un bon crochet dans les tripes, grâce à ce coup de plume acide, lucide et désabusé, ne manquant toutefois pas d'errance sur les chemins de l'espoir, même s'ils sont souillés par l'hostile réalité de la vie.

Pour finir par un uppercut. le bouquin terminé tombe des mains, décroche la machoire de son lecteur par tant de justesse, de secousses, de noirceur sans misérabilisme, de virtuosité pour un premier roman, d'humanité et de franchise, un cri silencieux séditieux à l'encontre d'une locomotive capitaliste qui broie ses prolos sans filet social et fonce pleins fer vers l'égoïsme capitaliste auréolé de gloire.

Sonné par cette histoire de survie unique et pourtant si tristement commune. Un roman noir et fort brillant de véracité et de finesse, qui pue l'amour, la misère, le racisme, les devoirs et l'incapacité.
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Le premier choc est venu de l'écriture.
Une écriture qui dégorge de métaphores d'une précision acide, pleine de couleurs et de textures.
Les gestes du quotidien prennent alors une dimension héroïque ou tragique, comme ce simple fait de se laver les mains dans les toilettes d'un Mac Do.
"Lorsqu'il dessere une aisselle pour atteindre le savon, un musc de gouttière de feuilles humides s'infiltre vers le haut. le hublot du distributeur de savon est un cyclope injecté de sang. Fatigué et presque vide. Un faible éternuement rose dans sa paume. "

La langue de Jacob Guanzon est unique, parce qu'il mélange dans un accord parfait la poésie de certaines descriptions et la crudité réaliste de certains décors. Des métaphores incandescentes surgissent au milieu d'une conversation familière, des détails glauques se parent soudainement de lyrisme. Et si cette écriture est déroutante, pourtant elle sonne juste tant elle excelle à exprimer un flux de pensées, une sorte de monologue intérieur désordonné où la syntaxe et les mots peuvent se permettre une certaine fantaisie.
L'auteur parvient à traduire les moments d'absence que chacun peut avoir au cours d'une conversation, lorsque la pensée éloigne du moment présent et que des images viennent parasiter le dialogue. Dans ces moments là, les phrases se terminent de façon abrupte et la réalité devient floue comme si le personnage s'embourbait dans des réminiscences confuses.

La structure du roman est d'une grande efficacité pour évoquer la misère qui frappe Henry et son fils. Les titres de chaque chapitre indiquent par des chiffres brutaux et irréfutables la somme d'argent dont ils disposent. Au plus près d'un budget où le moindre cent compte, la réalité de la pauvreté s'impose aux lecteurs. L'argument est mathématique et il disqualifie tout discours moralisateur sur la motivation et la persévérance. Les efforts que déploie Henry pour nourrir son fils, en le gavant de soda pour apaiser la faim ou en remplissant ses poches de sucre et de ketchup, sont d'une vérité cruelle.
La technique est par ailleurs efficace pour capturer le lecteur, celui qui espère le jackpot comme celui qui ne se berce pas d'illusions.
L'auteur nous prend comme témoin et ne nous lâche pas, comme des lecteurs à l'oeil rivé sur le compteur.

Les chapitres au présent occupent une durée de 24h, de l'anniversaire de Junior à la course au Walmart. Ceux au passé servent à la fois à différer l'avancée de l'action, mais aussi à expliquer la situation inextricable dans laquelle se trouve Henry. Pour gagner la sympathie du lecteur, il était important d'inclure des flashbacks fragmentés qui décrivent son parcours.
Car Henry n'est pas né pauvre. Si ses parents étaient immigrés, ils avaient fait des études, étaient intégrés et exercaient des professions intellectuelles. Jusqu'à la maladie puis la mort de la mère, et le changement de travail de son père, Henry aurait pu être un étudiant américain ordinaire. Mais l'absence d'un véritable système de santé fait déjà des ravages et oblige le père d'Henry à contracter des dettes.
Ensuite la passion immature d'Henry pour Michelle à l'adolescence, sa consommation d'alcool et de de drogue, son opposition à son père vont l' amener à purger une peine de prison. Lorsqu'il sort, Michelle est dépendante et il a un fils qu'il ne connaît pas.

Donner un enfant à Henry est un choix judicieux. Jacob Guanzon renforce ainsi sa dénonciation d'un système capitaliste qui génère autant de laissés-pour-compte et parmi eux des enfants en danger. Il permet à son personnage d'engranger un capital sympathie, qui croît à mesure qu'il lutte pour son fils.
"Son fils, son homonyme, son héritage. le symbole vivant qui prouve de façon irréfutable - malgré tous les vents contraires et toutes ses failles - que le passage d'Henry sur cette terre n'aura pas été complètement foiré, qu'il aura au moins fait une chose de bien."
Alors qu'Henry n'a pas vu grandir son enfant, il rêve d'un avenir meilleur pour son fils et lui consacre toute son énergie et tout son amour.
Et il en a de l'énergie, Henry. Il veut vraiment travailler, il accepte les boulots les plus difficiles, se prépare pour son entretien d'embauche.
Mais lorsque l'on a fait de la prison, qu'on n'a pas de domicile fixe, les opportunités sont extrêmement rares.

Après avoir commencé son roman dans un Mac Do, qui symbolise à la fois mal bouffe et travail précaire, Jacob Guanzon termine en apothéose dans un Walmart et multiplie ainsi l'antiphrase de son titre.
Il choisit également de cantonner son personnage dans des espaces configurés pour les classes populaires : Mac Do comme Walmart fonctionnent en présentant à la fois l'image de l'abondance et celle d'un budget maîtrisé. Ainsi l'illusion de participer à la société de consommation, de pouvoir jouir des produits qu'elle dispense rassure et console les moins aisés.

La longue description de la traversée du supermarché rassemble les différentes thématiques : le superflu contre l'essentiel, l'abondance contre le dénuement, le droit de choisir contre l'obligation de subir et la lutte pour la survie.
"Des boîtes des Benadryl roses, des boîtes d'Allegra bleues, un monticule herbeux de Claritin, et la dernière moitié du rayonnage est occupée par les Antidouleurs : rouge pour le Tylenol, marine pour l'Advil, émeraude pour l'Excedrin extra fort, écarlate pour l'Excedrin Migraine, bleu ciel pour Aleve, jaune pour Bayer. Chaque marque et chaque couleur se déclinent en une dizaine de formats, des tailles de plaquettes et des doses variées, effet longue durée, effet immédiat, comprimés, gélules, et tout ce qui compte, c'est qu'il prenne le meilleur médicament de tous, le plus cher, mais dans la plus petite boîte pour qu'elle tienne dans sa manche de chemise déboutonnée. Il doit d'abord attendre que la femme qui vient de garer son caddie à côté de lui s'en aille. Sous son hijab en soie, elle passe d'une boîte de Claritin à une autre de Loratadine. le temps presse. Chaque seconde brûle une nouvelle goutte de gasoil, chaque minute fait grimper la fièvre de Junior, un peu plus près de la mort. Mais ça lui offre une pause, un instant pour respirer, observer, comparer. L'Advil se révèle le plus cher, ce qu'il suppose être un signe de qualité supérieure. "

Ce premier roman, outre sa qualité littéraire, dénonce une idéologie qui prétend donner sa chance à chacun, qui affirme qu'il suffit de vouloir pour pouvoir et qui tente de perpétuer le mensonge du rêve américain.
Le dernier choc tient dans les dernières pages.
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Henry n'a plus rien. Ses poches sont vides, son estomac sonne creux, et seul le toit de son pickup le protège du temps qu'il fait. Chaque jour est un combat de plus, pour manger, se laver, éviter son regard dans un miroir. Chaque nuit rime avec la violence des souvenirs, des amours perdues, des visages tendres qui s'effacent… Mais Henry doit tenir, il ne doit pas baisser les bras, croire encore que demain peut être meilleur. Il en a fait la promesse à celui qui lui tient la main, celui qui dort sur la banquette arrière, son fils, son tout, son univers… Junior.

Abondance est le premier roman de l'américain Jakob Guanzon. Et l'histoire qu'il nous raconte, de manière plus que réussie, est tout aussi touchante que révoltante. Il met en lumière ceux qui vivent dans l'ombre… Il écrit sur les invisibles, les intouchables, ceux qu'on rejette, qu'on abandonne… Et ça remue…

Henry est un jeune homme perdu. Un père rigide, froid, et une mère partie trop tôt, le laissent face à ses démons. Drogue, alcool, dépendances en tout genre, mauvaises rencontres, font de ses week-ends des jours flous, nauséeux, sordides. Mais au milieu de ces heures sombres, il tombe amoureux de Michelle. Et tout semble possible.

A la naissance de Junior, entassés dans un mobile home, la dure réalité du quotidien les renvoie à leurs travers.
Cinq ans de prison plus tard, Henry doit faire face à la culpabilité, la trahison, la colère de Michelle et l'incompréhension de Junior. Sans travail, marqué au fer rouge, sans aucune aide extérieure, seul avec son fils, Henry doit trouver la force d'avancer.

Il est des histoires, des univers, des personnages, qui collent à la peau. Il existe des mots, des langages, des messages, qui hantent.
Ce roman fait partie de tout ça… Parce qu'au milieu de toute cette noirceur, au fond de ce puit obscur reste l'espoir qu'un jour, enfin, l'invisible entre dans la lumière… et que Junior et Henry aient droit à leur tour à une vie d'abondance
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Henry et de Junior, son fils de 8 ans, vivent dans un pick-up.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, nous ne sommes pas dans l'Amérique des années 50, mais en 2016.

A travers l'histoire d'Henry, Jakob Guanzon nous conte l'envers du rêve américain, cet idéal bien vivace outre-Atlantique qui n'est qui n'est qu'un mirage inaccessible pour de nombreux laissés pour compte.

Le récit est scindé en deux et alterne les chapitres. D'une part, on en apprend plus sur le passé d'Henry, sur sa révolte d'adolescent et sur les mauvais choix et la malchance qui l'ont mené là où il est, dans un pick-up Ford F250, dernier rempart contre une société de consommation qui ne veut pas de lui, et dont il a du mal à remplir le réservoir, vu son état d'extrême pauvreté. Et d'autre part, on suit les pas du jeune papa et de son enfant le jour du 8e anniversaire de Junior. Une journée qui aurait dû être joyeuse, mais qui va tout faire basculer.
Les Etats-Unis sont un pays de contraste, capable du meilleur, mais aussi du pire. Pays de la libre-entreprise par excellence, chacun y est responsable de lui-même, ce qui est un énorme avantage lorsque vous êtes nanti : vous jouissez alors d'une liberté énorme. Mais lorsque, comme Henry, vous êtes issu des classes les plus modestes de la société, la simple survie devient compliquée.

C'est le message que Guanzon tente de faire passer, et il y parvient magistralement à travers plusieurs techniques.
Tout d'abord, au lieu de se contenter de numéroter ses chapitres ou de leur donner un titre classique, il les chapeaute par l'argent disponible sur le compte en banque ou simplement dans la poche d'Henry. Jusqu'à un très douloureux 0,38 $, où il devient compréhensible que la situation du jeune homme et de son fils est désespérée.

Ensuite, alors qu'au bord des larmes ou de la crise d'angoisse (et je ne plaisante même pas) le lecteur attend une amélioration de la situation, celle-ci ne fait qu'empirer. Pas de happy end pour Henry et Junior, juste une course désespérée contre le destin.

Enfin, Guanzon nous procure un dernier (mais immense) choc émotionnel avec les deux derniers chapitres du roman. Dans l'ultime chapitre de l'histoire, Henry et Junior prennent la route après avoir été expulsés de leur domicile. Si les conditions ne sont pas idéales, Henry est toutefois assez optimiste : il se voit bientôt revenir vivre là avec Junior, avec une belle réserve d'argent en poche ou à la banque. Mais on n'y croit pas car, avant cela, il y a eu l'avant-dernier chapitre… Celui qui scelle le destin du père et de son fils et qui rend l'innocence et l'optimisme du dernier chapitre encore plus douloureux.

Abondance est un livre dur qui, à bien des égards, m'a rappelé A Little Life d'Hanya Yanagihara (Une vie comme les autres) et We Begin at the End de Chris Whitaker (Duchess qui, comme Abondance, parle de l'Amérique des paumés et du peu d'espoir que peuvent nourrir les pauvres dans ce pays).

Si vous ne craignez pas d'avoir le coeur brisé, Abondance, ce très grand premier roman, vaut la peine d'être lu.
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Un roman conseillé par Bichette puis par Michel. Je savais un peu à quoi m'attendre. Mais j'ai été tout de même très sonnée après l'avoir fermé.
Henry un homme en galère vit avec son fils de 8 ans dans son pick-up. La dégringolade a commencé à la mort de sa mère. Son père Itay, immigré philippin l'a élevé seul. Cet homme brisé, malheureux, ruiné ne va pas être tendre avec son fils. Déchu de sa fonction de prof après une faute envers un élève, il se voit obligé de prendre un travail dans le bâtiment. Henry va vite prendre le mauvais chemin. Drogue, trafic, mauvaises fréquentations...
Il rencontre Michèle dans une cure de désintoxication. Amoureux, ils vont s'unir dans leur faiblesse. Quand Junior naît Henry l'aime tout de suite très fort. Mais les galères se multiplient jusqu'à la prison. A sa sortie Henri retrouve Michèle à la dérive. Junior intelligent et calme assiste aux disputes violentes de ses parents, jusqu'au jour où ils devront prendre la route.
Mais comment survivre dans un pays où il n'y a pas de place pour qui est en réinsertion, où les aides sont inexistantes, enfants ou pas. Il n'y a pas de pitié pour ceux qui s'enfoncent. C'est le cauchemar américain !
Le style est unique. Des phrases courtes sorties de l'imagination fertile de ce jeune auteur.

" Ce soir-là un nouveau son résonna au loin, clair et joueur, il grandissait et s'approchait. Un joyeux tonnerre. C'était le son jaune, des tournesols, du rire: celui de maman."
"Michèle se tira la peau du visage à deux mains, puis se mit à la pétrir comme un bloc de terre auquel elle aurait voulu donner une forme présentable."
"Elle était plus maigre que jamais, avec ses côtes comme un xylophone et ses hanches tranchantes comme des pelles."
Un livre noir qui se lit lentement. On passe de la tristesse à la colère. C'est sûrement le style qui m'a permis de le lire jusqu'au bout.
J'attends le prochain livre de ce jeune auteur!


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