En quittant l’hôpital, un après-midi lumineux tout irisé de voiles de brume, Shōichi fut surpris par la douceur de l’air. Une brise aux senteurs d’eau stagnante et de feuilles décomposées jouait avec son épi de cheveux et les pointes de son col. À ce moment, le vide de son esprit l’enveloppait d’une sorte de bénignité lustrale. Ses membres déliés, tout juste un peu gourds, le portaient dans une marche cotonneuse. L’asphalte des rues ondoyait sur un nuage. Le chemin dans la ville lui parut aussi insolite que la traversée d’une fête foraine ou quelque piste perdue en montagne.
D’un vieux sage qui ramena jadis de Chine un certain art d’être assis, elle aimait ces paroles au fond si consolantes : « Cette vie, à quoi la comparer ? À la goutte de rosée secouée du bec de l’oiseau aquatique et sur quoi vient luire un reflet de lune. »
Chaque journée avait son haut lieu et demain appartenait plus que jamais à demain. Aussi alla-t-il se coucher à l'étage de sa cahute, comptant bien se mettre à l'oeuvre dès l'aube nouvelle. Mais le sommeil est comme le renard qui rôde, ses yeux de verre pétillant ça et là, entre deux guets-apens de poulailler.
Un miracle n'étant qu'un retournement du vide sur lui-même, on pouvait maintenant s'attendre à tout, une récidive, un renoncement, une régénération.
La peur de devenir fou est le début de la folie.
Belle et glaçante solitude! La nature observe longtemps l'intrus avec ses yeux d'insectes, de volatiles et de macaques. Elle écoute ses plaintes et les avale du fond de ses cavernes de branches et de nuages: rien n'est à redouter de l'aigle ou du lynx des songes. Une pluie de mésanges au cou bleu vient peupler l'arbre vénérable du seuil dont l'ombre tourne avec le soleil sur la clairière aux pervenches. Un étang derrière la baraque d'habitation s'éclaire de nénuphars blancs et de fleurs de lotus. Mille bras végétaux effleurent les errances inquiètes du nouveau venu tandis qu'autant de paupières clignotent dans les mouvantes frondaisons et les abrupts ruisselant de cryptogames.
Si courts les jours en ce monde
D’un vif instant nul n’ajourne sa mort
En grande hâte, avec vents et nuages
On quitte la maison d’indigence
Et pour fuir l’incendie
D’aucun déloge du château de désir
Notre heure s’inscrit au noir registre
Telle une brume est toute vie
Aux mains du charpentier céleste
Le voyageur, après combien de haltes où nul ne l'espère, se dissout à la fin aux boucles du voyage sans rien avoir appris des espaces. On marche si longtemps, des années, pour oublier ; on pourrait très bien mourir à chaque pas, c'est pour ça qu'on avance.
La solitude est bien le seul privilège de l'homme libre, c'est ce que se disait Santoka, assez peu satisfait d'être encore en vie, mais point malheureux non plus.
La marche à pied mène au paradis ; il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir, mais il faut marcher longtemps.