Tout est dit, à peu près, de ce qu'il me reste à raconter, mais dans cet à-peu-près, il y a ma vie presque accomplie : à peine deux cents à trois cents millions de pas à ce jour. Je ne les ai pas comptés précisément. Mais voici des lustres que j'arpente les sentiers de pèlerinage, et pas seulement dans les sites sacrés des monts Kii. D'année en année, j'ai parcouru plusieurs fois les cinq îles en toute saison. [...] Le fugitif de sa propre vie se soucie peu des motifs de l'impermanence. Il va, il vient, dans la neige des arbres ou du ciel, sans calcul des miracles ponctuels; [...]
Vingts ans valent à peine un bâillement de chat.
La marche à pied mène au Paradis; il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir, mais il faut marcher longtemps.
Cesse de parler. La vérité ultime n'a pas besoin de mots.
...marcher, c'est mettre en avant tout ce qu'on ne peut emporter...
Même la solitude s'apprivoise.
On marche si longtemps, des années, pour oublier ; on pourrait très bien mourir à chaque pas, c'est pour ça qu'on avance. Il faut savoir s'arrêter n'importe où, à n'importe quel moment, et prendre avec délicatesse le pouls de l'impermanence. Si les saisons et les jours sont les enfants du temps, chaque instant est un temple.
La solitude est bien la seule conquête de l'homme libre.
L'intensité d'un rêve sonde le cœur et les viscères.
Un grand harfang s’élevait, couleur du ciel, par-dessus les collines et les monts immaculés. Quel poète oublié avançait que songe et réalité sont les ailes d’un même oiseau ?
(Zulma, p.178)