Il tombait souvent malade, était sujet aux fièvres et à la malaria (on peut dire en un sens qu'il en mourra); et c'est peu dire que le Caravage aura malmené son corps, mais il l'aura également poussé vers des régions dont les bien-portants ne se douteront jamais. La nuit qu'il s'est injectée dans sa vie répond à une recherche qui lui ouvre les yeux sur la vraie couleur de l'existence.
Et puis il y a "la corbeille". On la trouve à Milan au bout d'un long couloir dans l'une des salles de la pinacothèque ambrosienne. J'y suis allé, je l'ai vue, c'est un éblouissement. (...) Vous comprenez que la Corbeille du Caravage n'est pas une nature morte, mais une offrande aux dieux du visible en échange de sa représentation. (...)
Si vous n'avez jamais vue une corbeille méditer, courez à Milan.
La solitude du Caravage réside dans cet emportement qui l'amène à vivre la peinture comme un moyen pour atteindre le mystère; et à vivre le mystère comme un moyen pour atteindre la peinture.
Les pieds sales, chez le Caravage, appartiennent aux pauvres, mais aussi aux doux, aux affligés, aux affamés et assoiffés de justice, aux miséricordieux et aux coeurs purs, aux artisans de paix, aux persécutés. Autrement dit, les pieds sont "bienheureux", ils sont aimés du Caravage et peints comme la lumière de l'âme parce qu'ils manifestent, d'une manière spectaculaire, la part invisible de ce qui entre au Royaume.
La faveur dort à mes côtés. Le favorable est la dimension de l'amour.
La fontaine, en tant que provision de clartés, n'est-elle pas le lieu de l'amour -- celui qui, comme dans le Roman de la rose, vous ouvre à l'image?
J'aimerais parler de l'expérience intérieure du Caravage; pas seulement du feu qui anime son esprit, mais de ce qui a lieu lorsqu'il peint : de la vérité qui s'allume dès qu'un homme comme lui avance son pinceau vers une toile.
Voilà, mon coup de foudre pour le Caravage me confirmait à quel point la vraie vie consistait à s'ouvrir à une parole qui vous nourrit, à lui offrir votre corps, à vous laisser traverser par cette expérience, et à écrire.
Le Caravage travaille comme un alchimiste, comme le démiurge austère et illuminé de l'Ancien Testament, comme un fabricant de lentilles : à l'origine il y a le noir, et peindre consiste à faire venir quelques rayons sur ce noir.
Depuis Dostoïevski, nous savons que le crime ne s'arrête pas à l'acte, mais que la vie d'un criminel en fuite est déjà son châtiment : celui qui tue un homme pour s'en débarrasser ne fait plus que vivre avec lui.