Ce livre relate l'histoire (vraie pour deux des héroïnes) de trois femmes très différentes dont les chemins vont se croiser entre 1939 et 1959. Vingt ans qui vont permettre au lecteur d'appréhender les conséquences à long terme de la seconde guerre mondiale dans plusieurs pays d'Europe, ainsi que ses effets dévastateurs sur les victimes, particulièrement celles rescapées des camps de prisonniers.
Chaque chapitre, écrit à la première personne, introduit le lecteur dans trois mondes que tout semble opposer. L'américaine Caroline Ferriday, issue d'un milieu plutôt aisé, travaille en tant que bénévole au Consulat de France à New York. Elle organise des galas et autres événements pour collecter des fonds, allant jusqu'à vendre l'argenterie familiale pour financer l'envoi de colis à des orphelins en France.
À Lublin, en Pologne, la vie de Kasia Kuzmerick, jeune adolescente qui menait jusqu'ici une vie insouciante, va tragiquement basculer lorsqu'elle est arrêtée, alors qu'elle venait de rejoindre la résistance. Avec sa soeur Zuzanna et sa mère, elles sont déportées au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück en Allemagne, une expérience qui la hantera à jamais.
Enfin, il y a Herta Oberhuser, une jeune allemande qui vient de terminer ses études de médecine. Engagée dans les jeunesses hitlériennes, elle adhère totalement à l'idéologie nazie et son ambition dévorante l'amènera à commettre les pires atrocités, sans qu'elle ne se remette jamais en question. Elle se retrouve au camp de Ravensbrück en tant que médecin, chargée de mener les expériences les plus abjectes sur 74 prisonnières, dont Kasia et sa soeur. Si on savait que de telles expériences avaient existé, le tragique destin de ces prisonnières polonaises, affublées du nom de « Lapins » a largement été ignoré. Pourquoi ce nom, tout simplement à cause de la façon dont elles boitaient suite à leurs mutilations et aussi parce qu'elles étaient traitées comme de véritables lapins de laboratoire.
L'histoire est très intense et la lecture est parfois insoutenable, devant tant de souffrances et de cruauté. En effet, un grand nombre de Lapins subiront des expériences grotesques et douloureuses dont elles ressortiront brisées, défigurées ou stérilisées, et toutes marquées dans leurs chairs. Certaines y perdront la vie et pour les rescapées, le traumatisme sera indélébile, comme nous le découvrons tout au long de la vie de Kasia. Son personnage est sans aucun doute celui qui m'a le plus touchée.
Martha Hall Kelly s'est basée sur le témoignage de deux soeurs polonaises qui ont toutes deux subi des opérations dans ce camp, comme elle l'explique à la fin du livre.
Grâce à la richesse de son écriture, nous sommes transportés au plus près de Kasia et de ses « soeurs » au coeur de cet enfer. Plus que spectateurs, nous partageons leur désespoir et leurs souffrances et admirons la solidarité qui les lie et leur donne la force de survivre. Malgré la disparition de sa mère adorée, Kasia sait rester forte et continue à aider plus faible qu'elle au quotidien.
Le personnage d'Herta, la doctoresse nazie qui va leur infliger tant de souffrances ne peut que nous être détestable et antipathique. Il décrit toutefois parfaitement comment un être humain peut commettre les pires atrocités à l'encontre d'autres personnes lorsqu'aveuglé par une idéologie. Jamais Herta ne remettra en cause ses convictions, allant jusqu'à perdre son âme. Grâce aux notes de l'auteure, nous savons ce qu'il est advenu de cette femme médecin jugée à Nuremberg à la fin de la guerre.
Je n'ai pas trouvé convaincant le portrait de Catherine dressé par l'auteure dans la première partie du livre. S'il est évident qu'elle se sent investie d'une mission vis-à-vis des orphelins français et qu'elle y consacre beaucoup d'énergie, son personnage reste trop superficiel, quitte à devenir même parfois antipathique. Sans doute, à cause d'autres préoccupations plutôt futiles, compte tenu des événements tragiques qui se déroulent en Europe : mondanités, robes de soirée et sorties dans la haute société new-yorkaise. Par ailleurs, l'élément romantique ajouté par l'auteure, à savoir sa relation amoureuse avec un acteur français (marié) ne prend pas du tout et ne rajoute rien au personnage, l'éloignant même de ce qu'a dû être la véritable Caroline Ferriday, à en juger par les informations disponibles sur cette femme exceptionnelle.
Une fois la guerre terminée, Caroline oeuvrera sans relâche pour faire venir aux États-Unis un certain nombre de Lapins, afin qu'elles y subissent des opérations pour réparer leurs corps martyrisés, leur offrant ainsi une seconde chance. L'élan de solidarité autour de ces femmes sera immense et le lien créé avec Caroline deviendra si fort qu'elle les considérera petit à petit comme ses filles, selon les notes de l'auteur.
Ce premier livre de
Martha Hall Kelly vous fera passer par toutes les émotions. Vous aurez les larmes aux yeux devant tant de souffrances et d'horreur, vous vibrerez avec Kasia et ses soeurs d'infortune et vous ne pourrez qu'admirer l'audace et la détermination de Catherine dans son combat pour redonner de l'espoir aux Lapins polonais.
Prenez le temps de lire les notes de l'auteure à la fin du livre et de consulter son site Web. Elle y donne des informations sur les vraies protagonistes de l'histoire et explique comment, après avoir visité le jardin de Catherine Ferriday, dont les superbes lilas avaient fait l'objet d'un article de magazine et y avoir découvert, par hasard, l'histoire des Lapins polonais, l'idée du livre s'est peu à peu imposée à elle.
Il est important de savoir ce qui s'est passé à Ravensbrück et de ne jamais oublier les souffrances endurées par tous les déportés. « Ceux qui ne peuvent se souvenir de leur passé sont condamnés à le répéter » (
George Santayana).