La juive de Shanghai

Tout fuir pour un autre monde, inconnu, comme neuf. Où l'on pouvait vivre, oubliant enfin qu'on était juive.

Il ne faut jamais oublier ceux qui nous sont chers. Il faut les garder tout le temps près de nous, même si ce n'est qu'en pensée.

La guerre. Jamais encore je n’ai écrit ce mot. Tous les jours, on le lit dans les journaux, pourtant, jusqu’à ce soir, ce n’étaient que des lettres mille fois répétées sur le papier.

— Où est Muttie Glückel ?
Unkel Moses prit le temps de rire.
— Dès que les marks ont été sur la table de la cuisine, elle est allée nous acheter des chaussures… Les meilleures. Ah, tu ne connais pas cette tradition ? C’est que tu es encore jeune et que tu n’as pas connu ta mère assez longtemps. Depuis qu’ils ont dû fuir Jérusalem devant Nabuchodonosor, on dit que, quand les nuages s’amassent au-dessus de leurs têtes, les Juifs ne doivent avoir qu’une arme à portée de leurs pieds : de bons souliers.

J’avais tant envie de te parler. D’être certaine que tu allais bien… J’avais même envie de te rendre la canne que m’avait donnée la vieille dame. Mais impossible. Ç’aurait été de la folie. Je t’aurais mise dans l’embarras… C’était Ruttie Roth qui partait au travail, et pas toi, n’est-ce pas ? Il y avait déjà des mouchards à tous les coins de rue. Ça aurait été bien trop dangereux pour toi.

C’est toujours ainsi avec les femmes, Moses Warburg, n’est-ce pas ? Elles ne peuvent pas être seulement celles que vous avez envie de voir.

C’était une sensation étrange : elle savait qu’elle avait réussi quelque chose de rare. Elle avait dessiné le fameux ensemble d’été pantalon-boléro voulu par Frau Opel presque sans hésitation, traçant le patron avec une confiance qu’elle n’avait encore jamais éprouvée. Comme si sa main possédait un savoir indépendant et attendait depuis toujours l’occasion de le révéler.

Tant qu’on le peut, c’est à nous et à personne d’autre de déterminer par où passe le chemin de notre vie…

Rien ne s'efface plus vite que ce qui a déjà été vécu...

" Demain ce sera la guerre partout. Les gens deviennent des loups par temps de guerre. N'oublie pas : même si on ne se revoit jamais, on est amies. Amies pour toujours. Jusqu'à la nuit des temps. "