ça fait des heures que je suis réveillée, je n'arrive pas à dormir. Je n'ai pas dormi depuis des jours. Il n'y a rien de pire au mode que l'insomnie, je déteste ça, rester là avec le cerveau qui égrène chaque seconde, tic, tac, tic, ta.
Les fenêtres du numéro quinze reflètent la lumière du soleil, tels des yeux aveugles.
Le vide: voilà bien une chose que je comprends. Je commence à croire qu'il n'y a rien à faire pour le réparer. C'est ce que m'ont appris mes séances de psy : les manques dans ma vie seront éternels. Il faut grandir autour d'eux, comme les racines d'un arbre autour d'un bloc de béton ; on se façonne malgré les creux. Je sais tout cela, mais je n'en parle pas à haute voix, pas pour l'instant.
Je me couche et j’éteins les lumières. Je ne parviendrai pas à dormir, mais il faut que j’essaie. Au bout d’un moment, j’imagine que les cauchemars s’arrêteront et que je n’aurai plus à revoir la scène en boucle dans ma tête, mais, pour l’instant, je sais que c’est une longue nuit qui m’attend. Et il faut que je me lève tôt demain pour prendre le train.
-On croirait que le pire est arrivé, dit-il doucement. Je veux dire, c'est ce qu'on croirait, non?
Il me regarde.
-Ma femme est morte et la police pense que je l'ai tuée. Qu'est-ce qui pourrait être pire?
Il parle des nouvelles, de ce qu'on raconte sur elle.
On le sent comme le bourdonnement sourd d'une lumière électrique, ce changement d'atmosphère quand le train s'arrête au feu de signalisation. Je ne suis plus la seule à regarder mais on ne les voit pas tous de la même manière. Désormais tout le monde voit la même chose.
La vie n'est pas un paragraphe et la mort n'est pas une parenthèse.
Passe, passe, passera, la dernière y restera. Je suis bloquée là, je n’arrive pas à aller plus loin. J’ai la tête lourde de bruits, la bouche lourde de sang. La dernière y restera. J’entends les hirondelles, elles rient, elles se moquent de moi de leurs pépiements tapageurs. Une marée d’oiseaux de mauvais augure. Je les vois maintenant, noires devant le soleil. Mais non, ce ne sont pas des hirondelles, c’est autre chose. Quelqu’un vient. Quelqu’un qui me parle. » Tu vois ? Tu vois ce que tu me fait faire ?
"Soyons francs, encore aujourd'hui, la valeur d'une femme se mesure à deux choses : sa beauté ou son rôle de mère. Je ne suis pas belle, et je ne peux pas avoir d'enfants. Je ne vaux rien" (p. 102)
Les parents se fichent de tout, à part de leurs enfants. Ceux-ci sont pour eux le centre du monde, la seule chose qui compte vraiment. Plus personne d'autre n'a d'importance, ni la souffrance, ni le bonheur des autres, plus rien n'est réel.