Citations sur L'enfant qui ne parlait pas (23)
- C'était en septembre, reprit-elle. Je crois. Je ne sais pas au juste parce que je n'avais pas encore appris les mois de l'année, mais...
Elle s'interrompit pour mieux se concentrer en fronçant les sourcils.
- On nous avait allongées, Tashee et moi, sur la grande table, avec nos poupées. Ellie a demandé à J.R. de les poser derrière nous. Puis tout le monde nous a embrassées, et les poupées aussi. Tashee s'est mise à pleurer. Moi pas, parce que je ne savais pas ce qui se passait. Alors J.R. a pris un chandelier et il a écrasé la poupée de Tashee. Lorsque la tête s'est brisée, j'ai compris qu'elle allait mourir.
Je ne savais plus quelle attitude adopter. En fait j'avais du mal à croire à son histoire qui pour moi n'avait aucun sens.
Pour la première fois, elle leva la tête de son livre.
- Moi aussi j'aurais pu mourir parce que j'avais six ans. Mais comme ils n'ont pas écrasé ma poupée, je vis toujours.
- Et Tashee est morte ?
Jade hocha la tête.
- Oui, je vous l'ai dit.
Je restai pétrifiée. Rien à travers mon expérience professionnelle ne m'avait préparée à ce que je venais d'entendre.
Nous avons de la chance toi et moi de travailler ensemble. J'ai déjà aidé beaucoup d'enfants et maintenant je vais pouvoir t'aider.
Jade eut les larmes aux yeux, comme si elle allait éclater en sanglots. Mais elle se cramponna à son manteau déboutonné et prit la fuite en refermant soigneusement la porte derrière elle.
Lorsqu'en 1987, Torey Hayden est chargée d'une classe d'enfants "difficiles" dans l'école municipale d'une petite commune canadienne, elle s'intéresse tout particulièrement à la petite Jade, la seule fille du groupe, une enfant qui se tient courbée et ne parle pas. D'emblée, le contact s'établit entre la psychologue et la petite fille. Celle-ci demeure muette pendant les heures de classe mais rejoint chaque soir Torey dans une salle de l'école, pù elle se met à lui parler.
Ce qu'elle raconte a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête : Jade parle souvent du fantôme d'un petite fille qu'elle aurait vu mourir dans d'atroces souffrances. Elle raconte aussi, par bribes, des chsoes horribles qui tournent autour de violence et de sexe.
A force de patience, la psychologue finira par entrevoir la réalité : elle est beaucoup plus effrayante que tout ce qu'elle pouvait soupçonner...
- Aide-moi, disait-elle dans un souffle. Aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide moi...
Elle se retrouva si près qu'on ne voyait plus que sa bouche sur l'écran, qui prononçait inlassablement les même mots.
- Aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide moi, aide-moi...
Puis l'image se brouilla.
France Loisirs, P. 30
« — Tu as mal quand j'appuie ici ?
— Je ne veux pas.
— Mais tu souffres.
— Non.
— Dans ce cas, montre-moi que tu sais te tenir droite.
Jade secoua la tête.
— Si je ne te touche plus, peux-tu te redresser ?
— Non.
— Pourquoi ? Ça te fait mal ?
— Non.
— Alors pourquoi ?
— Parce que j'ai besoin de me pencher en avant.
— Comment cela ?
— Parce qu'il le faut.
— Mais “pourquoi” ?
— Pour garder ce qu'il y a en moi. »
- Les sentiments n'ont rien à voir avec les actions. Voilà pourquoi il faut les exprimer. Les sentiments et les désirs ne peuvent pas tuer.
Apparemment, elle parlait chez elle mais à l'école elle n'avait jamais prononcé le moindre mot. En outre, elle ne riait, ne pleurait, ne toussait, ne rotais, ne hoquetait et ne reniflait pas davantage.
- Si je comprends bien, tu juges inutile de parler puisque les gens n'entendent pas.
Elle approuva d'un signe de tête.
"Il est plus facile de croire à la bonté des gens quand on ignore le mal."
Deux cent quarante kilomètres me séparaient de Falls River et de là. Il restait trente-sept kilomètres pour atteindre Pecking. Des Prairies s'étendaient à perte de vue, sillonnées par l'autoroute. Les villes se succédaient et même si le terme de "ville" semble un peu excessif les décrire, elles portaient toutes des noms pleins d'espoir : Harmony, New Marseilles. Valhalla...