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Citations sur Putain de mort (13)

Dans la jungle, il y avait des endroits où il fallait tout le temps garder une cigarette allumée, qu'on fume ou pas, pour empêcher les moustiques de s'engouffrer dans votre bouche.
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Des camions, des jeeps et des milliers de motos passaient dans la rue, une petite fille avec une jambe atrophiée courait dans tous les sens comme une libellule sur ses béquilles en bois pour vendre des cigarettes. Elle avait le visage d'une petite dakini, si belle que ceux qui avaient besoin de ne pas s'attendrir avaient du mal à la regarder.
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Saïgon, Cholon et Ðanang avaient des vibrations si hostiles qu'on se sentait visé par une arme chaque fois qu'un regard se posait sur vous, et tous les jours des centaines d'hélicos tombaient du ciel comme de gros oiseaux empoisonnés.
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Pour sortir la nuit il se peignait le visage, une vision de terreur, pas comme les visages maquillés que j'avais vus quelques semaines avant à San Francisco, l'autre extrême du même théâtre. Il passait des heures debout dans la jungle aussi calme et anonyme qu'un arbre mort et que Dieu aide ses adversaires s'il n'y en avait pas au moins une demi-section - c'était un bon tueur, un de nos meilleurs.
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Je connaissais un lurp de la 4 Division qui prenait ses pilules à pleines poignées, les dépresseurs dans la poche gauche de sa combinaison léopard et le speed dans la poche droite, une pour lui frayer un chemin et l'autre pour l'y envoyer.
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Au début, nous avons cru qu’il était mort, piégé sur la piste, mais il avait une couleur si terrifiante que ce n’était pas cela. Les morts eux-mêmes gardent une sorte de lumière horrible qui met du temps à s’éloigner, à disparaître peu à peu dans la peau, qui met longtemps à s’éteindre complètement, alors que ce gosse n’avait plus aucune couleur nulle part. C’était incroyable qu’une chose aussi blanche et inerte soit encore vivante.
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Parfois, on restait cloué sur place, plus de repères et personne en vue, en pensant, Bordel où suis-je?, tombé dans un point de contact contre nature entre l'Est et l'Ouest, un couloir californien taillé, acheté, brûlé profondément dans l'Asie, et après on ne savait plus pourquoi on y était allé. Par définition c'était une question d'espace idéologique, on était là pour leur donner le choix, le leur apporter comme Sherman a porté la bonne parole dans toute la Géorgie, avec, d'un bout à l'autre, les indigènes pacifiés et la terre brûlée. Il y avait une telle concentration, une telle densité d'énergie, américaine et surtout adolescente, que si on avait pu en faire autre chose que du bruit, de la souffrance et des ravages, on aurait pu illuminer l'Indochine pendant mille ans.
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Deux rafales dans la nuit à un kilomètre de là et j'avais un éléphant à genou sur ma poitrine.
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Un jour, il est arrivé une lettre d’un éditeur anglais qui lui demandait d’écrire un livre avec pour titre provisoire Fini la guerre et pour but d’ôter une fois pour touts « tout prestige à la guerre ». Page n’en revenait pas.
« Ôter tout prestige à la guerre ! » Je veux dire, comment bordel ! Est-ce qu’on peut faire ça ? Allez donc faire disparaître l’attrait d’un Huey, le prestige d’un Sheridan… Tu peux, toi, effacer le charme d’un Cobra ou d’une défonce sur China Beach ? C’est comme de prendre son prestige à une M-79, d’enlever son charme à Flynn. » Il a montré du doigt une photo qu’il avait prise, Flynn en train de rire comme un fou (« On gagne », disait-il) avec un air de triomphe. « Il n’y a rien de mal à ça, mon gars, n’est-ce pas ? Vous laisseriez votre fille épouser ce garçon ? Ohhhh, la guerre vous fait du bien, on ne peut pas enlever tout attrait à ça. C’est comme de vouloir enlever son attrait au sexe, ou aux Rolling Stones. » Il en restait sans voix, et agitait les mains dans tous les sens pour souligner la démence de ce qu’on lui demandait.
« Je veux dire, tu le sais bien, on ne peut pas faire ça ! » Nous avons tous les deux haussé les épaules en riant, et Page est resté un instant pensif. « Quelle idée ! a-t-il dit. Ohhh, que c’est drôle ! Enlever son foutu charme à une foutue guerre ! »
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Dans les mois suivant mon retour, les centaines d’hélicoptères que j’avais pris se sont amalgamés jusqu’à former une sorte de métacoptère collectif, c’est ce que j’avais alors de plus sexy dans le crâne : ce qui venait détruire ou sauver, fournir ou ruiner, la main droite et la main gauche, quelque chose d’agile, de facile, de malin, d’humain ; l’acier brûlant, la graisse, les sangles en toile saturée de jungle, la sueur qui refroidit et se réchauffe encore, une cassette de rock and roll dans l’oreille et la main sur la mitrailleuse de la porte, l’essence, la chaleur, la vitalité et la mort, la mort elle-même à peine une intruse. Les hommes d’équipage disaient qu’une fois qu’on avait transporté un mort il restait toujours là, il volait avec vous. Comme tous les combattants ils étaient incroyablement superstitieux, ils dramatisaient tout, mais (je le savais) c’est horriblement vrai : s’exposer de près aux morts vous rend sensible à la force de leur présence et fait naître en vous de longs échos, très longs. Il y a des gens si délicats qu’un regard suffit pour les balayer, mais même les troufions abrutis jusqu’à l’os avaient l’air de sentir qu’il leur arrivait quelque chose de plus, quelque chose de fatal.
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