Citations sur Le Jeu des perles de verre (92)
Ce que l'humanité a produit au cours de ses ères créatrices dans le domaine de la connaissance, des grandes idées et des œuvres d'art, ce que les périodes de spéculation érudite qui suivirent ont ramené à des concepts et transformé en patrimoine intellectuel, tout cet immense matériel de valeurs spirituelles, le joueur de Perles de Verre en joue comme l'organiste de ses orgues, mais les siennes sont d'une perfection presque inconcevable ; leurs claviers et leurs pédales explorent le cosmos spirituel tout entier, leurs registres sont pour ainsi dire sans nombre, et théoriquement cet instrument permettrait de reproduire dans son jeu tout le contenu spirituel de l'univers.
Parce que pour lui, régner n'était pas un besoin, ni commander un plaisir, parce qu'il était infiniment plus avide de vie contemplative que de vie active et qu'il eût été plus satisfait de rester encore des années, sinon sa vie entière, un étudiant obscur, pèlerin curieux et respectueux des sanctuaires du passé, des cathédrales de la musique, des jardins et des forêts des mythologies, des langues et des idées.
Tu peux te moquer de moi : leur chute a malgré tout quelque chose qui m'en impose ; Lucifer, l'ange renégat, a lui aussi de la grandeur. Ils ont peut-être fait ce qu'il ne fallait pas, ou plutôt ils l'ont certainement fait, mais ils n'en ont pas moins réalisé, accompli quelque chose, ils ont risqué le saut, et pour cela il fallait du courage. Nous autres, nous avons été travailleurs, patients, raisonnables, mais nous n'avons rien fait, nous n'avons pas franchi le pas.
"Il se peut que notre pays cesse un jour de pouvoir entretenir sa Castalie et notre culture, qu'il considère un jour Castalie comme un luxe qu'il ne peut plus se permettre, qu'un jour même, au lieu d'être, comme jusqu'à présent, gentiment fier de nous, il ait le sentiment que nous sommes des pique-assiette et des parasites nuisibles, voire de faux prophètes et des ennemis : ce sont là les dangers qui nous menacent de l’extérieur."
Il avait déjà fait personnellement l’expérience que la foi et le doute vont de pair, qu’ils se conditionnent l’un l’autre, comme l’inspiration et l’expiration.
Et toutes les voix, toutes les aspirations, toutes les convoitises, toutes les souffrances, tous les plaisirs, tout le bien, tout le mal, tout cela ensemble, c’était le monde. Tout ce mélange, c’était le fleuve des destinées accomplies, c’était la musique de la vie. Et lorsque Siddhartha prêtant l’oreille au son de ces mille et mille voix qui s’élevaient en même temps du fleuve, ne s’attacha plus seulement à celles qui clamaient la souffrance ou l’ironie, ou n’ouvrit plus son âme à l’une d’elles de préférence aux autres, en y faisant intervenir son Moi, mais les écouta toutes également dans son ensemble, dans leur Unité, alors il s’aperçut de tout l’immense concert de ces milliers de voix ne se composait que d’une seule parole : Om : la perfection.
Il y avait longtemps que le jour et le monde n’avaient plus revêtu pour lui cet aspect, qu’ils n’avaient plus eu cette légèreté, cette beauté, cette innocence. Le bonheur d’être libre, de décider de lui-même, le pénétrait comme une boisson capiteuse. Depuis combien de temps n’avait-il plus éprouvé cette sensation, la grâce et le ravissement de cette illusion? […] Il se savait en sécurité, libre de tout engagement, il se savait pour un instant parfaitement disponible, dégagé du circuit, délivré de toute obligation de travail, de pensée, et ce jour lumineux, coloré, l’environnait de son doux rayonnement; il n’était qu’image, que présence, sans exigence, sans hier et sans lendemain. (p. 407-408).
DEGRÉS
Fleurette passe et l’âge dépasse
la jeunesse : il est ainsi des fleurs
à chaque pas de la vie, de la sagesse, de la vertu;
chacune a sa saison, nulle l’éternité.
Cœur, quand la vie t’appelle,
sois paré à partir et à recommencer,
cours, vaillant, sans regret,
te plier à des jougs nouveaux et différents.
Et tout commencement un charme a sa demeure,
C’est lui qui nous protège et qui nous aide à vivre.
Franchissons donc, sereins, espace après espace;
n’acceptons en aucun les liens d’une patrie,
pour nous l’esprit du monde n’a ni chaînes, ni murs;
par degrés il veut nous hausser, nous grandir.
A peine acclimatés en un cercle de vie,
intimes en son logis, la torpeur nous menace.
Seul, prêt à lever l’ancre et à gagner le large,
tu pourras t’arracher aux glus des habitudes.
Peut-être aussi l’heure de la mort nous lancera-t-elle,
jeunes, vers de nouveaux espaces.
L’appel de la vie jamais ne prendra fin…
Allons, mon cœur, dis adieu et guéris.
Il n'y a pas, a-t-il dit un jour, de vie noble et supérieure, si l'on ne sait pas qu'il existe des diables et des démons et si on ne les combat pas constamment.
Nous approchons d'une époque critique ; partout on en sent les prémices, le monde s'apprête une fois de plus à déplacer son centre de gravité. Il se prépare des changements de pouvoir, ils ne s'effectueront pas sans guerre ni sans violence, et ce n'est pas seulement une menace pour la paix, mais une menace pour la vie et la liberté qui s'annonce du fond de l'Orient.