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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Éditeur à succès, découvreur de talents (Jules Verne, mais aussi Stella Blandy, très populaire en son temps), Pierre-Jules Hetzel façonna, par ses publications pour la jeunesse, tout l'imaginaire de la deuxième moitié du XIXème siècle, popularisant les luxueux cartonnages romantiques, dont on fit tant d'éditions, encore très courantes, de volumes en percaline rouge, destinés aux prix d'excellence, aux étrennes, aux fins d'années scolaires, etc…
le succès de Jules Verne, qu'il encadra étroitement, fit d'Hetzel l'un des éditeurs précurseurs de la science-fiction et du merveilleux scientifique, qui allaient durablement marquer les lectures adolescentes de la Belle-Époque, même bien après la mort de Pierre-Jules Hetzel (en 1886) et de Jules Verne (1905).
Pourtant, s'il fut toute sa vie relativement discret sur ce sujet, Pierre-Jules Hetzel fut aussi un écrivain prolifique, même s'il vint relativement tard à l'écriture, en grande partie grâce au confort matériel que lui apportait sa maison d'édition. Sa carrière d'écrivain, sous le pseudonyme assez transparent de P.J. Stahl, s'étale durant les vingt dernières années de sa vie, entre 1866 et 1886, et à quelques exceptions près, se résume principalement à des oeuvres destinées à la jeunesse, dont une grande partie sont en fait des adaptations plus ou moins fidèles de romans étrangers, la plupart anglais ou américains.
Ces adaptations sont plutôt libres, Hetzel ne se gênant nullement pour supprimer certains passages qu'il trouve médiocres, ou au contraire, en rajoutant des trouvailles de son crû. Éditeur exigeant, relecteur et correcteur, Pierre-Jules Hetzel traitait en réalité les romans qu'il traduisait comme les manuscrits qu'il recevait : ils n'étaient publiés qu'une fois revus et corrigés par ses soins.
Une telle intrusion d'un éditeur serait aujourd'hui jugée totalement inacceptable pour n'importe quel écrivain, mais c'est néanmoins cette méthode subtile qui, non seulement, a donné naissance à la "patte" Hetzel, mais a aussi fait que, contrairement à bien des oeuvres postérieures du même genre qui n'ont dépendu que de leurs auteurs (On pense irrémédiablement au côté "nanardesque", d'écrivains comme Paul d'Ivoi, Louis Boussenard ou l'italien Emilio Salgari), les romans publiés par Hetzel semblent aujourd'hui bien moins ringards, bien moins risibles ou "hénaurmes", malgré leur désuétude.
Il en va de même pour « Maroussia », qui fut le plus grand succès littéraire de Pierre-Jules Hetzel en tant qu'écrivain, au point même d'occulter peu à peu le récit original de Marko Vovtchok, autrice ukrainienne qui, à la base, avait publié en 1875 cette nouvelle historique intitulée «Маруся » et qui ne faisait qu'une soixantaine de pages.
On ne sait comment, ce récit tomba entre les mains de Pierre-Jules Hetzel, qui pourtant, ne parlait pas ukrainien. Il en tira un roman de 300 pages qui, tout en reprenant les situations et les dialogues originels, y insufflait une dimension plus fantastique, et surtout une plus grande portée psychologique.
« Maroussia » se déroule en terre ukrainienne, à une date qui n'est jamais indiquée avec certitude, mais que l'on peut situer dans la longue période dite de « Ruine », (années 1660 à 1690), au moment où la Russie s'emparait de la rive gauche (nord-est) du Dniepr (l'immense fleuve qui traverse l'Ukraine du nord au sud) et entrait en conflit avec la rive droite ( au centre-centre sud), sous domination polonaise, chacune ayant un "hetman" ("ataman" dans le roman), un chef cosaque qui n'était pas reconnu par l'autre partie. Cette situation se dénoua avec l'abandon du pouvoir par l'hetman de la rive droite. Comme cet évènement forme la trame du roman, on peut donc y situer l'action précisément en 1663.
Les lieux sont souvent imprécis, du fait qu'il est question de petits villages pas toujours nommés (dont celui où habite Maroussia) ou qui n'existent plus depuis longtemps, mais qui devaient être situés sur la rive droite du Dniepr, au sud-est de Kiev, à l'endroit où le fleuve se fait plus large, entre Tcherkassy et Krementschouk. Les deux principales villes où Maroussia et son compagnon, rencontrent chacun des deux hetmans sont par contre aisément identifiables : Tchychyrine ("Tchiguirine", dans le roman), un peu plus à l'ouest sur la rive droite, et Hadiatch ("Gadiatch", dans le roman), plus au nord, sur la rive gauche. Enfin, la dernière partie du roman se situe aux abords d'une forêt de la rive droite impossible à situer plus précisément, si ce n'est qu'elle n'est pas très éloignée du Dniepr.
C'est donc dans un petit village ordinaire que la famille Tchabane vit aussi paisiblement que possible en temps de guerre. Les Tchabane sont des paysans honnêtes, mais qui adhèrent alors à une idéologie politique nouvelle, qui ne reconnait ni l'occupation russe, ni le protectorat polonais, et prône l'utopie alors irréalisable d'une Ukraine indépendante. Selon le romancier, cette idéologie serait née primitivement chez les Cosaques de l'île de Setch. Hélas, il n'y a jamais eu aucune île de ce nom sur le Dniepr, ni ailleurs. Néanmoins, par recoupements, il est facile de reconnaître que l'auteur voulait en fait parler de l'île de Khortytsia, qui se trouve à une centaine de kilomètres au sud, entre les deux rives de la ville de Zaporijia, et qui est effectivement le berceau des dynasties cosaques ukrainiennes.
C'est justement l'un de ces cosaques de Setch/Khortytitsia qui frappe un soir à la porte des Tchabane, pour demander de la nourriture et des renseignements. Tchetchevik est un homme en fuite, poursuivi par les russes, mais qui savait trouver dans cette maison des amis communs avec les Tchabane qui servent la cause indépendantiste. Tchetchevik est en mission diplomatique et doit se rendre à Tchychyrine et tenter de convaincre l'hetman de la rive droite de renoncer à son titre, afin de ne pas diviser le peuple ukrainien que les indépendantistes souhaitent voir se lever contre l'hetman prorusse de la rive gauche. Après cela, et en admettant qu'il obtienne ce qu'il demande, Tchetchevik doit se rendre ensuite à Hadiatch, en zone occupée, afin de rencontrer l'autre hetman, et de le convaincre, à présent que son pouvoir est unique, de se détacher de l'influence russe pour se ranger aux côtés des indépendantistes, prêts à le suivre et à l'assister s'il se décide à chasser l'envahisseur.
Or, les Russes, comme les Polonais, se défient de cette menace indépendantiste susceptible de briser l'ordre relatif de la colonisation ukrainienne. Aussi, Tchetchevik est-il suivi, traqué, par des cavaliers russes, qui retrouvent enfin sa trace et tambourinent à leur tour à la porte des Tchabane.
le cosaque est prudemment exfiltré dans le jardin. Les Russes pénètrent chez les Tchabane, mais bien qu'ils ne trouvent aucune trace du fuyard, ils décident d'occuper la maison, de piller les victuailles, et de brutaliser et d'humilier ces paysans trop fiers. Conscient du risque physique que court Maroussia, l'aînée des enfants Tchabane, âgée de 12 ans et déjà fort jolie, son père lui fait comprendre d'un regard qu'elle doit rejoindre Tchetchevik dans le jardin. Ensemble, le cosaque et la petite fille décident de s'enfuir dans la nuit, et de rejoindre une étable à quelques centaines de mètres pour s'y dissimuler.
Maroussia, néanmoins, comprend vite que Tchetchevik, qui découvre pour la première fois cette région d'Ukraine, est totalement désorienté, et a besoin d'être guidé. La petite fille, qui connaît étonnamment bien sa région pour son âge, se propose alors de l'accompagner dans sa mission. Paradoxalement, c'est sur la rive droite « polonaise » que le voyage de Tchetchevik et Maroussia est le plus dangereux. Ils voyagent d'ailleurs souvent la nuit, ou bien cachés dans des charrettes de foin. Malgré la platitude des steppes ukrainiennes, l'ennemi peut jaillir de n'importe quel bosquet, à n'importe quel détour, et même sans soupçonner avoir affaire à ceux qu'ils poursuivent, ces soldats russes peuvent être tentés de se défouler par pure cruauté sur des villageois innocents. le voyage vers Tchychyrine est donc périlleux, mais là-bas, un allié sûr leur propose des déguisements qui vont assurer leur sécurité pour le reste de leur voyage. Par ailleurs, la démarche de Tchetchevik auprès de l'hetman de la rive droite est couronnée de succès. L'hetman se résigne avec peine à laisser la place, mais il aime trop l'Ukraine pour prendre le risque de lui nuire, et il remet à Tchetchevik une lettre manuscrite certifiant sa renonciation à son commandement.
le voyage du cosaque et de Maroussia vers Hadiatch est plus long mais plus serein : les poursuivants de Tchetchevik n'imaginent pas qu'il soit passé en zone russe, et le supposent encore à Tchychyrine. de plus, Tchetchevik s'est déguisé en troubadour et se promène avec un théorbe, un luth italien dont il n'est pas certain qu'il ait été importé en Ukraine à ce moment-là, mais dont le cosaque joue merveilleusement bien.
Tchetchevik et Maroussia arrivent à Hadiatch, où ils parviennent à entrer en contact avec l'hetman de la rive gauche, grâce à sa belle-soeur Mephodievna, qui se sent émue par la petite Maroussia. Ils découvrent que l'hetman vit sous l'emprise d'un invité permanent, un seigneur russe hautain et autoritaire qui, immédiatement, nourrit des soupçons sur Tchtetchevik. Alors que sur ordre de l'hetman, les invités sont rassemblés sur la terrasse du château, le seigneur russe aperçoit aux flancs de Tchetchevik un superbe poignard ouvragé. Il exige que le musicien le lui donne, et propose de l'acheter, tout en le brandissant vers le ciel pour mieux observer les reflets de la lame. C'est alors qu'un éclair jaillit du ciel nuageux et foudroie le seigneur russe. Tous les témoins de cet incroyable accident y voient une incitation de Dieu à en finir avec l'occupant russe.
Sa mission terminée, Tchetchevik décide de reprendre la route pour ramener Maroussia à sa famille, mais, de retour sur la rive droite, en longeant une forêt, des amis indépendantistes de Tchetchevik jaillissent soudain et l'appellent à l'aide, car ils sont victimes d'une embuscade russe : Tchetchevik dit alors à Maroussia de l'attendre et s'enfonce dans la forêt. La petite fille attend donc jusqu'au soir, morte d'inquiétude, et elle voit enfin Tchetchevik revenir, le bras disloqué par une balle. Celui-ci confie un message urgent à Maroussia, et l'envoie le transmettre, un peu plus loin, au bord du Dniepr, à un contact qui attend de le recevoir pour envoyer des renforts. Mais quand Maroussia arrive au point de rendez-vous, le contact est en retard. Par contre, un soldat tatar qui passait par là comprend tout de suite que la jeune fille est une rebelle en train de manigancer quelque chose. Il pointe son fusil sur Maroussia, et l'abat d'une balle en pleine tête.
le sacrifice de Maroussia ne sera pas vain : le contact qu'elle attendait finit par arriver, et tombe affligé devant le corps de la petite fille. Il trouve sur elle la demande de renforts de Tchetchevik, et pourra donc intervenir à temps pour sauver les indépendantistes…
Par la suite, finalement amputé de son bras droit, Tchetchevik, inconsolable et rongé de remords, consacrera le restant de sa vie à ériger, pierre par pierre, un tumulus à l'endroit où est tombée Maroussia.
du fait que Pierre-Jules Hetzel a déclaré lui-même qu'il voyait en Maroussia une « héroïne alsacienne », on en a conclu un peu hâtivement qu'il avait principalement voulu évoquer dans ce roman la confiscation de l'Alsace et de la Lorraine par les Prussiens, à la fin de la guerre de 1870. Or, c'est là une affirmation très excessive, d'abord parce qu'a aucun moment Hetzel ne trahit le drame authentiquement ukrainien que Marko Vovtchok avait primitivement écrit, ensuite parce qu'en dépit de son nom, Pierre-Jules Hetzel n'avait du sang alsacien que par son père, qu'il était né et avait grandi à Chartres, et n'avait donc pas plus de raisons "personnelles" de s'affliger de la perte de l'Alsace que n'importe quel autre citoyen français. Il est plus probable qu'Hetzel n'a fait, en préface de son roman, un parallèle avec l'Alsace que pour mieux sensibiliser à un drame situé dans un pays lointain et inconnu, et dont le lecteur pouvait se sentir trop détaché.
L'apport de Pierre-Jules Hetzel à la nouvelle ukrainienne fut surtout d'en gonfler les pages, parfois de manière très visible, notamment avec des bribes de contes et de légendes qui participent au climat un peu fantastique, folklorique, « couleur locale » du récit, ce qui le rend d'ailleurs bien plus immersif que la nouvelle. Ensuite, il a clairement tempéré, sans jamais chercher à le gommer, le patriotisme exacerbé de Marko Vovtchok, en lui conférant un caractère plus sacrificiel, plus noble, et en donnant des Russes une image bien plus humaine. Ainsi, alors que Tchetchevik, déguisé en musicien, est hélé par des soldats russes et sommé de jouer pour eux, il leur chante des hymnes patriotiques ukrainiens, qui, contre toute attente, émeuvent les soldats russes et les amène à douter de leur combat, et même à le regretter. Par cette métaphore, Hetzel substitue au patriotisme ukrainien un patriotisme universaliste, qu'il présente comme étant, au final, un premier pas vers l'apaisement. Qu'un Russe prêt à mourir pour son pays réalise qu'un Ukrainien prêt à mourir pour le sien partage totalement ses valeurs, cela peut l'inciter à cesser de voir en lui un ennemi... Évidemment, c'est une conclusion simpliste que l'Histoire a maintes fois démenti, mais n'oublions pas que « Maroussia » est d'abord un livre pour enfants, qui se doit, à travers un récit tout de même fort dramatique, de laisser entrevoir des idées positives.
On pourra reprocher à « Maroussia » un certain déséquilibre entre le texte original très nationaliste et les ajouts plus modérés et humanistes de Pierre-Jules Hetzel, mais il serait vain de nier la très grande qualité de ce conte philosophique pour enfants, qui aborde des sujets extrêmement graves avec une intelligence du coeur et une lucidité dont on n'oserait plus faire preuve aujourd'hui. Notons aussi qu'Hetzel ébauche un certain éveil amoureux, renforcé par les périls encourus et partagés, entre cette petite fille que son aventure arrache de l'enfance et ce valeureux diplomate, en perpétuelle admiration devant le dévouement et le courage de cette gamine, laquelle sent confusément, à plusieurs reprises, qu'elle ne survivra pas longtemps et s'y résout avec détermination. La passion patriotique en inspire ici une autre, plus humaine, plus essentielle, qui est la force même de la vie, contre la mort qui frappe aveuglément tout autour.
Tout cela fait de « Maroussia » un récit qui, en dépit d'un caractère et d'un lyrisme souvent vieillots dans sa forme narrative, conserve à la fois tout son enseignement initiatique et toute sa puissance émotionnelle. Depuis 2022, en outre, ce roman a retrouvé une bien triste actualité, plus brûlante même qu'au moment de sa parution, qui redonne à sa lecture une profondeur insoupçonnée, même si ce livre pour enfants est empli d'un rationalisme étonnamment adulte, et que Pierre-Jules Hetzel ne dissimule pas que, si d'aussi courageuses et sacrificielles résistances ont individuellement un sens, puisqu'elles permettent à chacun d'aller au bout de ses convictions et d'entretenir vivace le flambeau de la justice, elles ne changent pas et ne changeront jamais le cours de l'Histoire, et qu'il faut hélas s'y préparer coûte que coûte.
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