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Critique de clesbibliofeel


Voici un « Roman autobiographique » sur les pas d'une jeune féministe à la poursuite de ses rêves de justice et d'égalité pour toutes. Pauline, au cours d'une action des Femen réclamant la libération d'une tunisienne emprisonnée, s'expose seins nus avec une couronne de fleurs dans les cheveux, devant le tribunal de Tunis. Immédiatement arrêtée, menottée, elle est incarcérée à La Manouba. Plusieurs années après les évènements, elle nous livre un récit fiévreux de ces semaines où elle a subi les humiliations du personnel de la prison, mais aussi goûté à la solidarité et tissé des liens avec ces femmes – petites délinquantes, voleuses, criminelles – qu'elle a côtoyées.

J'aime les récits où l'auteur est infiltré dans un milieu pour mieux l'étudier et le comprendre. Je pense à Günter Wallraff, à son livre Tête de turc où il se fait passer pour un travailleur immigré turc sans carte de travail, à Florence Aubenas et son Quai de Ouistreham, fruit d'une immersion dans la condition des travailleuses les plus précaires. le cas de Pauline Hillier est un peu différent, elle n'a pas vraiment prévu d'être incarcérée dans la sinistre prison pour femmes de la Manouba en Tunisie. Elle connaissait les risques de son action mais a visiblement été surprise par la violence des conditions de détention. Amenée à partager le terrible quotidien de ces femmes emprisonnées, elle va observer celles à qui on ne donne jamais la paroles, comme une opportunité et une prolongation à son combat féministe.

Rien n'est fourni par la prison, même pas une cuillère ou une assiette qu'il faut demander à la famille quand on en a une. La nourriture est mauvaise, insuffisante. Ses anciens vêtements, jean et débardeurs, sont interdits. Pauline, bientôt surnommée Bolona, se retrouve en pantoufles, avec un pantalon trop grand retenu par une pince à linge, cadeaux de ses codétenues car, heureusement, au pavillon D, la solidarité est réelle, organisant « la survie » à vingt huit dans une trentaine de mètres carrés. Elle a seulement réussi à conserver un livre « Les contemplations » de Victor Hugo, utile pour écrire ses notes dans les marges et qui lui fournira un beau titre pour son livre.

Pauline a vaguement appris à lire dans les lignes de la main, sans y croire, par jeu. Elle va s'en servir afin d'établir le contact et pour s'occuper. C'est ainsi qu'elle prend la main d' Hafida, par gratitude envers celle qui est venue lui parler, la rassurer. Très vite la magie opère et en retour Hafida lui raconte son histoire. La Bolona devient alors, pour l'ensemble du pavillon D, « la voyante », celle que l'on interroge pour rendre le présent moins sombre et l'avenir moins incertain. Elles vivent dans la promiscuité et l'ennui, les sorties sont rares – un quart d'heure, deux fois par semaine environ… Elles se nomment : Lina mais tout le monde l'appelle « Fuite » , Chafia l'insomniaque, La Cabrane redoutée au début mais utile pour « cantiner » et pour le marché noir, Boutheina, criminelle et grand-mère de substitution, et bien d'autres, troublantes, inquiétantes, fragiles, attachantes.

Ce pourrait être un témoignage très intéressant. C'est bien plus que cela, une sorte de magie opère en permanence nous faisant vivre les évènements et éprouver les sentiments de ces prisonnières. La force de l'écriture est là, dans les détails, dans la crudité des situations, sans misérabilisme. Conservant la distance avec ce qui lui est raconté, inventant ce que sa mémoire a oublié et ce que réclame la littérature, Pauline Hillier sait utiliser l'humour pour rendre cocasse les absurdités de la domination patriarcale et celles de la complexité humaine qui n'a pas de sexe. L'histoire de Boutheina, meurtrière suite à une altercation entre voisines qui tourne au drame, devient aussi pathétique que drôle.

Dans ce court récit mais particulièrement intense, domine la réflexion sur l'emprisonnement de ces femmes souvent victimes d'une société qui ne les écoute pas, les rejette au moindre faux pas. Condamnée à un an au départ, Pauline Hillier aura passé un mois à La Manouba. Un mois cela peut paraître court mais vous pouvez me croire, quand vous aurez lu ce livre, vous trouverez que c'est très très long. Lisez-le, il en vaut la peine (selon moi évidemment), il déborde de qualités morales et littéraires ! L'image que je garderai : la lecture et les confessions recueillies dans la paume de la main des détenues ainsi que le tatouage au henné en retour dans la paume de Pauline.

Pauline Hillier est née en Vendée en 1986. Elle écrit depuis l'adolescence. Son premier roman, A vivre couché, est paru en 2014. Membre du mouvement international Femen de 2012 à 2018, elle a participé à de nombreuses actions, en France comme à l'étranger. Les Contemplées lui a été inspiré par son séjour en prison en 2013. « Une révélation ! Un magnifique roman, puissant, incandescent et d'une folle liberté » selon Augustin Trapenard qui l'a invitée à la Grande Librairie pour une séquence que je recommande.

La Manufacture de livres a été créée en 2010. Cette maison d'édition indépendante, fondée et dirigée par Pierre Fourniaud, a fait connaître des auteurs comme Franck Bouysse, Benoît Séverac ou Laurent Petitmangin... Les Trophées de l'édition organisés par Livres Hebdo lui ont décerné le prix du meilleur éditeur de l'année. Un éditeur « dégagé de la pression des grands groupes ». Précieux et prometteur d'autres découvertes. Cela me plaît vraiment !
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