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EAN : 9782358879415
204 pages
La manufacture de livres (09/02/2023)
4.27/5   264 notes
Résumé :
2013, Tunis. À l’issue d’une manifestation, Pauline, jeune Française, est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes. Entre ces murs, c’est un autre temps, un nouvel ordre du monde, des règles qui lui sont révélées dans une langue qu’elle comprend à peine.
Au sein du Pavillon D, cellule qu’elle partage avec vingt-huit femmes, elle n’a pu garder avec elle qu’un livre, Les contemplations de Victor Hugo. Des poèmes pour se raccrocher à quelque chos... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (61) Voir plus Ajouter une critique
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« Il est vingt heures, le soleil se couche sur Tunis. Dans la voiture, un flic me met en garde : là où je vais, ça ne va pas être facile, il va falloir rester sur mes gardes et me méfier de tout le monde. (...) Il y a des tueuses. Il faut faire attention. Il ne faut pas leur faire confiance. Elles te dépouilleront, elles te frapperont, ou même pire. Il y a des folles là-bas ».

Là-bas, c'est la Manouba, la plus grande prison de femmes de Tunisie. Là où est conduite la narratrice, une jeune Française. Pavillon D, une cellule à partager avec vingt-sept co-détenues, un seul trésor, un livre, Les Contemplations de Victor Hugo.

Les Contemplées est largement autobiographique. Pauline Hillier a été incarcérée à la Manouba en 2013 suite à une action Femen pour faire libérer la militante féministe tunisienne Amina Sboui. Pour témoigner de cette expérience carcérale, elle aurait pu choisir d'écrire un récit journalistique voire un essai ouvertement militant. Elle a opté pour la forme romanesque au militantisme subtilement impactant.

Evidemment, les descriptions des conditions de vie sont très réalistes . le lecteur est totalement immergé dans la violence et le quotidien sordide très factuel de la prison : promiscuité, repas infâmes servis à même le seau, saleté de la cellule grouillante de cafards, souffrance des corps abimés par le manque d'activité physique et la malnutrition, humiliations en tout genre de la part des représentants de l'autorité. On suit la narratrice au plus près dans son apprentissage des codes et rudiments de la prison. Mais le récit ne se résume pas à un simple compte-rendu.

Le factuel est rehaussé par les choix proprement romanesques de l'autrice. Les Contemplées n'est jamais l'histoire individuelle un peu nombriliste d'une Occidentale et de ses quelques mois en prison qui ne seraient qu'une parenthèse, certes dure, marquante, avant la reprise d'une vie privilégiée en France. Pauline Hillier écarte ainsi fermement la présence de ses deux consoeurs Femen ( une Française et une Allemande ), pourtant incarcérée avec elle, pour braquer le projecteur sur les détenues tunisiennes, déplacer notre regard vers elles et leur rendre hommage. Ce sont elles, les contemplées.

Ce sont elles les héroïnes du roman, ces parias, ces femmes de rien que personne ne veut voir et que Pauline Hillier peut rendre indélébiles par la force de ses mots. Difficile d'oublier ces femmes qui lui tendent la main pour une séance de chiromancie dont la Française maitrise quelques codes. La galerie de portraits qui nait lors des scènes de lectures de ligne de la main est formidable et permet de dresser un panorama complet de la condition féminine en Tunisie avec toute la palette des violences faites au femme dans le cadre d'un patriarcat redoutable.

Boutheina, Fuite, Hafida, Warda, Fazia, Samira, la Cabrane ... oui il y a des meurtrières, des infanticides, mais aussi des femmes battues qui ont tué en état de légitime défense, des femmes adultères que la voix olympienne de leur mari a suffit à faire condamner sans preuves, des prostituées, des femmes à mauvaise réputation. Quel que soit le personnage, quel que soit leur sortie de rail, jamais l'autrice ne les juge et se défait humblement de ses certitudes et ses préjugés moraux sur le Bien, le Mal, la culpabilité et l'innocence. Elle les écoute et on voit sa pensée en mouvement, les doutes qui l'assaillent.

Le roman n'est jamais mortifère, au contraire il est animé d'une pulsion de vie, d'humour même. Pauline Hillier fait surgir du cachot lumière et résilience sans idéaliser ni édulcorer. Ces détenues donnent une leçon d'humanité marquante et universelle qui montre que la sororité collective est possible, même dans les pires situations.

Un roman poignant, vibrant de chair, trempé à l'urgence de parler de notre monde actuel, poing levé.


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Le 29 mai 2013, Pauline Hillier fait partie du groupe féministe Femen qui manifeste seins-nus devant le palais de justice de Tunis en soutien à Amina Sbouï. En revendiquant la libération de la militante tunisienne, la jeune bordelaise terminera à la Manouba, privée de sa propre liberté dans la plus grande prison de femmes de Tunisie. Pavillon D, une cellule nauséabonde à partager avec vingt-huit co-détenues, accompagnée d'un livre qu'elle a miraculeusement pu garder, « Les contemplations » de Victor Hugo, qui sera à l'origine du titre de cet ouvrage et dans lequel elle prendra les notes qui serviront de base à ce témoignage.

« Les Contemplées » est donc tout d'abord un récit carcéral qui immerge le lecteur dans un environnement insalubre, grouillant de cafards et de rats, où les prisonnières doivent survivre dans des conditions d'hygiène totalement rudimentaires et profondément dégradantes. Un huis clos où l'on souffre de malnutrition, d'humiliations en tout genre, de promiscuité, de fouilles à nu outrageuses et de violences régulières de la part des gardiennes.

« Les Contemplées » aurait donc pu se limiter à un témoignage autobiographique visant à dénoncer les conditions d'emprisonnement au coeur d'une société patriarcale bafouant les droits fondamentaux des femmes, mais Pauline Hillier a cependant choisi d'occulter la présence de ses deux consoeurs Femen, pourtant incarcérées avec elle, pour nous parler des femmes tunisiennes qui ont partagé son quotidien.

Ayant quelques notions de chiromancie, la narratrice va progressivement se faire une petite place parmi ses co-détenues en leur lisant les lignes de la main. Une main ouverte et tendue vers le partage du peu de biens qu'elles détiennes, mais surtout des histoires qu'elles ont en commun. La plupart ont beau être innocentes (comme c'est souvent le cas en prison, surtout celles-là), elles sont néanmoins toutes coupables du même crime : être née femme dans un monde dirigée par les hommes !

Grâce à la plume Pauline Hillier, Boutheina, Fuite, Hafida, Warda, Fazia, Samira, la Cabrane et les autres prisonnières se transforment en héroïnes de roman, illuminant cet environnement inhumain de leur humanité, traversant notre ligne de vie pour se graver à jamais dans notre esprit. Là, dans ce pénitencier où les femmes rebelles doivent être oubliées, voire même effacées de la société, des portraits foncièrement attachants sont brossés, tout en dénonçant la condition féminine en Tunisie et en rendant hommage à la merveilleuse sororité qui naît parmi ces femmes victimes du pire…

Finalement, « Les Contemplées » est un récit de transmission, d'histoires de femmes qu'il ne faut pas oublier…
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Femen mémorial
Un témoignage sensible, intense et poignant. le ton est juste, sincère, sans complaisance, la fin chargée d'émotion.
Le récit autobiographique vibrant d'humanité de Pauline Hillier militante de Femen, relate son incarcération dans une geôle tunisienne suite à une manifestation féministe à Tunis.
Elle raconte comment elle se retrouve jetée sans ménagement ni possibilité de s'exprimer dans l'enfer carcéral du pavillon d'de la Manouba traitée comme une criminelle au milieu d'une trentaine de codétenues.
D'abord terrifiée par les autres prisonnières : des délinquantes qu'on lui dépeint comme dangereuses, son regard sur elles change peu à peu. L'autrice ne possède pour seul refuge que « Les Contemplations» de Victor Hugo qu'elle utilise aussi comme journal emplissant de ses notes tous les espaces blancs. Sachant lire les lignes de la main elle offre aux détenues ses talents de chiromancienne. En tailleur sur sa couchette, paume dans la main, elle se transforme en diseuse de bonne aventure. le contact tactile permet de la rapprocher de toutes ces femmes que la machine carcérale a brisées et qui se mettent à lui confier des récits bouleversants.
Au sein de sa cellule crade aux odeurs pestilentielles, dans des conditions de détentions lamentables, l'écrivaine rencontre une bienveillance et une solidarité auxquelles elle ne s'attendait pas. «D'une bande de tueuses, de voleuses et de petites délinquantes j'ai reçu la plus magistrale des leçons d'humanité. » Cette sororité « immense et pure » l'aide à survivre.
Hafifa, Warda, Fuite, la Cabrane, Chafia, La Cristal, la vieille Boutheina…, autant de noms, surnoms et trajectoires de femmes lumineuses et attachantes qui résonnent encore en elle (et en nous).
Condamnées à de lourdes peines souvent disproportionnées, leurs actes délictueux sont couramment la conséquence de la violence patriarcale. Hantée par ses soeurs d'infortune depuis sa libération, elle écrit pour éterniser leur mémoire.
Ce livre est le mémorial de toutes ces « moins que rien » qui par leur chaleur humaine ont permis à Pauline Hillier de garder foi en l'humanité.
Une leçon magistrale, pour le lecteur aussi.
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En mai 2013, Pauline Hillier fait partie de ces femmes qui manifestent en soutien à Amina Sbouï, une activiste tunisienne. Malheureusement, avec deux autres femmes, elle se fait arrêter par la police. Si elle ne comprend pas ce qui lui arrive, en voyant passer devant elle des officiers, une avocate tout affolée, un flic, dans la voiture, la prévient que ça ne va pas être facile et qu'il va lui falloir être sur ses gardes. Après un trajet qui lui semble interminable, peinant à reconnaître les lieux, il la conduit à la Geôle. Après avoir été malmenée, menottée, trimballée, fouillée, elle atterrit finalement dans une cellule de 30m², où se tiennent déjà pas moins de 27 femmes, au sein du Pavillon d'de la Manouba. Si elle décide aussitôt de s'isoler, d'éviter tout contact avec ces femmes (des criminelles ? des tueuses ? des voleuses ?) dont elle se méfie, son regard envers elles va pourtant très vite changer...

C'est par le biais d'une rencontre hasardeuse, des années plus tard, que Pauline Hillier décidera de raconter l'histoire des Contemplées de la Manouba. À partir de ses notes et dessins, dans le recueil des Contemplations de Victor Hugo qu'elle aura pu garder avec elle dans sa cellule, de ses souvenirs, que l'on devine intacts, la jeune femme raconte non seulement ses conditions insalubres d'emprisonnement (rats, cafards, rationnement) ou le comportement violent des gardiennes mais surtout elle nous raconte ses codétenues. Aussi bien les raisons (parfois insensées qui les ont amenées là) que ce qu'elles sont, ce qu'elles dégagent de terriblement humain, de générosité, de bienveillance, d'entraide. Parce qu'elle lit les lignes des mains, ces moments de partage deviennent des moments de confidence. L'on est saisi alors par ces portraits de femmes fortes et courageuses, soumises aux dures lois du patriarcat. Sans jamais les juger, Pauline Hillier leur porte, au contraire, un regard empreint de tendresse et de respect. Par le biais de ce témoignage bouleversant, mettant en lumière ces femmes mises à l'ombre, Pauline Hillier leur rend ainsi un vibrant hommage...
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« Bolona c'est mon histoire. L'histoire d'une jeune féministe française à la poursuite de ses rêves de justice et d'égalité pour toutes, partout, tout le temps. Cette année-là j'ai poussé mes idéaux à leur paroxysme. Estimant qu'aucune frontière ni aucune loi ne devaient empêcher la solidarité entre les femmes, j'ai bravé les interdits pour en faire moi-même la manifestation. Émue par le sort d'une Tunisienne emprisonnée pour avoir défendu la liberté des femmes, j'ai été à mon tour enfermée pour avoir défendu la sienne. J'appartenais à l'époque à un célèbre groupe féministe d'origine ukrainienne dont l'impertinence et les coups de poing agitaient l'opinion publique et les médias du monde entier. C'est donc seins nus, le poing levé et les cheveux sertis de fleurs que j'ai manifesté mon soutien à la jeune prisonnière, en pleine heure de pointe devant le palais de justice de Tunis. Je connaissais les risques, je les ai acceptés, et j'en ai payé le prix, en passant un mois derrière les grilles de la Manouba. »

C'est à la toute fin du récit que Pauline Hillier, ancienne Femen, porte ce témoignage, cette ultime et généreuse parole par laquelle j'ai voulu introduire mon billet.
Je suis donc entré dans les pas de la narratrice, j'ai poussé les portes de la Manouba, une prison pour femmes dans le coeur de Tunis. Je suis entré dans cet enfermement, la crasse, la puanteur, les fouilles au corps, les humiliations dès les premiers instants, l'horreur de la réclusion, la promiscuité, l'étouffement, c'est un nouvel ordre du monde qui siège entre ces murs épais avec des règles autant édictées par les gardiennes féroces comme des hyènes que par les codétenues qui ne sont prêtes à faire de cadeaux à personne, et surtout pas à une étrangère…
Sans sas de décompression, la narratrice se retrouve du jour au lendemain plongée en immersion dans une cellule où elles sont
vingt-huit codétenues.
Elle va partager durant un mois leur quotidien et leurs secrets.
Dès les premières heures, cette prison ressemble aux entrailles d'un monde intemporel, hors du réel.
Pourtant, pourtant, quelque chose va se passer, une histoire née de l'injustice et de l'inacceptable. Les Contemplées est une histoire de sororité et d'apprivoisement.
Un jour, la narratrice saisit la main d'une de ses voisines de cellule et commence à lui lire ses lignes de vie. Mais à quoi ressemble la ligne de vie d'un destin brisé, cassé par des lois plus fortes que celle de la vie ? Des lois faites par les hommes et pour les hommes, où des femmes ont si peu de place pour ne pas dire aucune place. Je ne vous parle pas ici d'une Tunisie médiévale, mais bien contemporaine puisque cela se passe en 2013.
Elles sont tueuses, voleuses, prostituées, victimes le plus souvent d'erreurs judiciaires… Être tueuse, c'est parfois aussi se délivrer du joug d'un prédateur, c'est parfois l'ultime geste pour protéger un enfant, c'est se dire plus jamais ça, c'est saisir un couteau dans la cuisine un soir et éventrer celui qui fait mal, le tortionnaire autorisé à le faire, c'est se dire que l'on va finir sa vie dans une prison comme la Manouba, c'est le savoir par avance ou peut-être pas du tout, mais qu'importe ! C'est toujours mieux que de subir les sempiternels coups d'un geôlier, d'un tortionnaire à domicile. D'autres sont prostituées et n'ont pas d'autres choix pour tenir debout, tandis que les policiers et les juges préfèrent les incriminer, elles plutôt que les hommes bien-pensants de cette société tunisienne qui vont leur rendre visite pour distraire la monotonie de leur vie conjugale.
Plus qu'un roman autobiographique, Les Contemplées est une ode aux soeurs emmurées. Elles s'appellent Hafida, Fuite, Saïda, Fazia, La Cabrane, Boutheina la doyenne, Chafia qui vit sa vie de chat…
Elle la narratrice, on la nomme désormais Bolona…
Leurs vies ont basculé de l'autre côté du paysage, elles n'ont peut-être plus désormais l'espace pour déployer leurs ailes, ici elles ne reçoivent plus les coups d'un homme qui a le droit de battre sa femme sans qu'on lui en tienne grief. Elles appartiennent pourtant à jamais à l'espace du dehors qu'elles réinventent dans des chants, dans des rêves, dans des caresses, elles sont enfermées, sont dedans contre-nature.
Alors la narratrice accueille chacune de leurs histoires comme une confidence, comme une offrande, une caresse, un poids qui peut délivrer un coeur.
Parfois certaines d'entre elles accumulent tout comme un zèle effréné du destin : l'erreur judiciaire, le délit de faciès, le coup monté, l'incompétence d'un policier ou d'un juge, le machisme, le racisme, le mépris de classe ou l'abus de pouvoir… On pourrait résumer cela en un seul mot : la fatalité. Non, j'ironise bien sûr, mais hélas c'est bien la vérité, c'est ce qui se passe dans la vraie vie là-bas.
Dans ces amitiés qui se nouent, il y a malgré tout de la joie, de la tendresse, de l'humour aussi quand l'une d'entre elles évoque comme seule justification de sa présence ici la magie noire dirigée contre elle…
Il y a une lumière qui porte ce récit, se faufile dans ses pages, nous prend par la main.
Quelque chose d'une portée universelle se terre dans les mots de ce livre d'une formidable et vibrante humanité. Ce livre est une déflagration qui m'a secoué, chaviré. Qui plus est, l'écriture de Pauline Hillier est magnifique, éblouissante, d'une formidable vibration.
Si le féminisme est un combat, il devrait ressembler, selon moi, à ce côté guerrier que porte en elle Pauline Hillier, dans ses actes et dans sa manière d'écrire.
Ce qui force ici le respect, c'est cette solidarité en prison plus forte que tout, qui emporte tout, cette solidarité de ces femmes qui survivent et luttent pour garder intacte leur dignité bafouée.
Ce sont des femmes qui ont pour seul reproche d'avoir trébuché, rêvant un seul instant d'échapper à la trajectoire inexorable écrite par avance pour elles.
Les Contemplations de Victor Hugo est le seul livre que la narratrice a pu faire entrer dans la prison. Elle n'a rien pour écrire à part un crayon et ce recueil de poèmes de Victor Hugo, alors elle va écrire ce qu'elle vit, ce qu'elle ressent, dans les marges de ce livre, des mots les siens, adossés à ceux du grand écrivain, qu'elle lisait pour elle, aux autres aussi, pour tenir debout et survivre parmi la crasse, la puanteur, l'enfermement.
Un mois c'est peu, c'est long, écrit-elle plus tard. C'est un grain de sable parmi celles qu'elle a quittées, ses soeurs à jamais, celles qui ont vingt ans et qui finiront leur vie entre ces quatre murs. C'est insupportable de le savoir, de l'imaginer un seul instant. Pour les plus âgées, le constat est aussi effroyable. Elles mourront ici.
De ce mois d'incarcération, je suis prêt à croire que Pauline Hillier n'en est pas ressortie indemne.
Alors je comprends les rêves guerriers de cette rebelle que celle-ci est, j'ai compris ce rêve qui palpite en elle comme un coeur dans les douleurs sourdes, étouffées et d'où peut-être jaillira la révolte flamboyante qui renversera le monde, où des femmes, à Kaboul, à Téhéran, ici ou ailleurs, pourront enlever effrontément leur tchador et faire un doigt d'honneur bien profond à leurs geôliers légitimes sans qu'on les poursuive pour les lapider en place publique…
Pauline Hillier a mis dix ans avant d'écrire ce récit.
Ce soir je pense aux femmes de la Manouba, aux prisonnières, à toutes les prisonnières des autres prisons de la terre qui ressemblent à cette prison-ci, aux rejetées, aux effacées, qu'elles soient innocentes ou coupables de leurs crimes je m'en fous, peu importe puisqu'elles n'auront jamais droit à la justice, ce soir je pense à elles.
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critiques presse (2)
Bibliobs
17 avril 2023
Ancienne militante du mouvement Femen, Pauline Hillier a passé un mois dans la prison tunisienne de la Manouba. Elle en a tiré « les Contemplées », un roman plein d’humanité.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LaCroix
14 avril 2023
Incarcérée à Tunis en 2013, Pauline Hillier découvre la solidarité en prison auprès de femmes qui luttent pour garder intacte leur dignité bafouée.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (85) Voir plus Ajouter une citation
Seule la chasse aux insectes me sort parfois de ma léthargie. C'est le sport national de la Manouba. Le plus souvent, ce sont les mouches qui font s'agiter les détenues. On voit leurs bras se balancer dans la pièce comme des queues de vache dans un pré. Balayage à droite, balayage à gauche, c’en est devenu machinal. Je chasse les mouches comme je ramène mes cheveux derrière mes oreilles, sans y penser. Quand un cafard s'approche, en revanche, c'est une autre histoire. Je bondis comme une chatte. C'est une cohabitation à laquelle j'ai plus de mal à me faire. Ils ne sont pas très gros mais téméraires, ils n'hésitent pas à grimper sur les lits. Ils respectent toutefois un Code de la route assez strict en n’empruntant la plupart du temps que les boulevards des barreaux en métal. Il faut vraiment qu'il se soit égaré pour qu'on en retrouve un dans les chemins de traverse de nos draps. Mais si un pied ou une main leur barre la route ils n'hésitent pas à gravir l'obstacle et les vols planés des pichenettes que nous leur infligeons ne semblent aucunement entamer leur détermination. Leurs carapaces épaisses et leurs petites pattes élancées les protègent en cas d'accident. Sitôt atterris, ils sautent sur leurs pieds et se remettent en route. Les occupantes des couchettes inférieures souffrent encore plus de ces envahissants colocataires, car les cafards circulent sans vergogne au-dessus de leurs têtes sur les sommiers en métal qui semblent constituer les centres névralgiques de leur petit réseau routier. Jour et nuit, ils sont là qui se promènent, échangent des informations olfactives, transportent un paquet, font la course, s’accoudent à un barreau, grignotent un morceau de rouille, s'accouplent sous nos yeux puis repartent en sifflotant, les antennes dans les poches. Leurs vies sont bien plus trépidantes que les nôtres. Il n'y a pas d'autre choix que de se résigner à assister à ce spectacle décadent. Le temps d'en chasser un, cinq autres apparaissent. Les lits éloignés des sanitaires sont plus préservés. J'ai tôt fait de comprendre pourquoi les lits superposés attenants aux toilettes sont cordialement laissés aux primo-arrivantes. À nous les odeurs, les bruits et les cafards. Les anciennes ont déjà donné.
(p.63-64)
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L'infidélité d'une femme, réelle ou supposée, en plus de ruiner sa réputation, jette souvent l'opprobre sur sa famille tout entière. Les parents, les frères et les sœurs de Samira, s'estimant salis par son crime, lui ont tourné le dos. Quant à son mari, il ignore ses courriers et la prive de nouvelles de ses enfants. La communication rompue, tout espoir de libération anticipée s'est envolé, car il est le seul à pouvoir la faire sortir d'ici. Un courrier de sa part et Samira serait libre. Tel est le pouvoir olympien des maris sur leurs épouses. D'un pouce dans l'arène, ces petits césars scellent le destin des femmes qu'ils possèdent. Ils sont nombreux à utiliser cette loi pour se débarrasser d'elles et obtenir la garde de leurs enfants.
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Toutes mes visions du bien, du mal, de la justice, de la morale, sont remises en question. Les cartes de la vie sont rebattues, tout est à revoir. Je me défais peu à peu des préjugés moraux que je brandissais jadis avec l'arrogance d'un petit prêtre. Je désapprends. L'humanité s'est présentée à moi nue, dans ce qu'elle a de plus brut et de plus sincère, sans rien dissimuler de ses contradictions et de ses zones grises, faisant voler en éclats tous mes repères et me poussant à une introspection philosophique que je n'avais pas vue venir. Quand je promène mes yeux dans la pièce, je ne suis plus capable de distinguer les bonnes des mauvaises, les innocentes des coupables, les gentilles des méchantes. Ça ne marche plus comme ça. Et je comprends que la vie non plus ne marchera plus jamais comme ça.
(p.110)
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Je me souviens alors d'une promesse faite à Boutheina, un soir au-dessus d'un verre de Fanta orange, alors qu'elle me disait sa peur d'être oubliée de tous et effacée du monde. Je lui avais promis de ne jamais l'être de moi. À présent nous y voilà, le temps est venu de tenir ses promesses. Si je n'ai pas le pouvoir de libérer la vieille Boutheina, de réparer les drames et les injustices, de ressouder toutes les ailes et tous les petits bréchets cassés de la terre, ou de renverser les lois et le pouvoir des hommes (en tout cas pour l'instant), il en est un que j'ai et que personne ne peut m'enlever, celui, modeste et pourtant immense, de faire exister le temps de quelques pages ces femmes que plus personne ne voulait voir, sauf moi. Et de les rendre ainsi indélébiles.
(p.177)
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(Les premières pages du livre)
Il est vingt heures, le soleil se couche sur Tunis. Dans la voiture, un flic me met en garde : là où je vais ça ne va pas être facile, il va falloir rester sur mes gardes et me méfier de tout le monde. Je ne sais pas où l’on me conduit, personne ne m’a expliqué. Des gens ont parlé en arabe autour de moi toute la journée, des officiers de police ont passé des coups de fil, d’autres m’ont observée gravement pendant de longues minutes avant de pousser de grands soupirs, une avocate a fait un passage éclair, toute en sueur, l’air affolé, une pile de dossiers sous le bras et des lunettes de soleil sur la tête, m’assurant qu’elle ferait tout son possible pour me sortir de là, mais personne ne m’a exposé le programme. Ça a eu l’air de leur sembler évident. Pourtant, plus les heures passent et plus rien pour moi ne l’est. Mon cerveau colle en vrac des images sur les mots que le flic prononce : « Il y a des tueuses. Il faut faire attention. Il ne faut pas leur faire confiance. Elles te dépouilleront, elles te frapperont, ou même pire. Il y a des folles là-bas. » Je serre les dents. Je sais qu’il veut me faire peur. Il guette ma réaction dans le rétroviseur mais j’évite soigneusement son regard. Je ne veux pas lui donner satisfaction. Je joue la fille qui en a vu d’autres, moi qui en ai vu si peu pourtant. Je scrute le paysage par la fenêtre en essayant de recueillir un maximum d’informations. Les rues défilent dans la pénombre. Des automobilistes, des motards et des piétons sont emportés par leurs trajets quotidiens, l’air concentré ou absent. Quelques arbres sans feuilles et recouverts de poussière tremblent au passage des camions. Un chien errant lève la patte contre un tronc puis repart en trottinant. Devant une épicerie une bande de pigeons a pris d’assaut un sac de semoule éventré, un homme sort les bras en l’air pour les chasser. Nous poursuivons notre course. Les passants se font plus rares. Je guette les panneaux pour tenter de localiser l’endroit où nous allons, mais la plupart sont en arabe. Les rues se ressemblent et la ville devient vite un labyrinthe dans lequel le chauffeur semble tourner volontairement en rond pour me perdre. Comme si je n’étais pas déjà assez paumée.
Voilà des heures qu’on me trimballe d’un endroit à l’autre. Mes poignets menottés passent de mains en mains, les mains me traînent de lieu en lieu. On me crie des choses en arabe sans prendre la peine de les traduire. On tire sur ma laisse comme sur celle d’un animal apeuré. La pénombre est partout à présent, elle enveloppe les silhouettes, se répand dans les rues, entre dans la voiture, m’écrase contre le siège en cuir, pénètre ma gorge et mes oreilles, me gagne tout entière. Après des kilomètres de façades, la voiture de police ralentit enfin, passe sous un imposant fronton et s’engouffre dans un couloir sombre. « Bienvenue à la Geôle », me lâche le conducteur dans un rire moqueur. Un frisson me saisit tandis que la voiture s’enfonce dans la gueule béante du monstre. Les portes se referment sur moi en un boucan sinistre, grilles qui s’entrechoquent, gonds rouillés qui grincent, lourdes chaînes qu’on attache. Cette fois ça y est, le système carcéral vient de m’engloutir. Il n’a fait qu’une bouchée de moi. Je déglutis en même temps que lui, une énorme boule dans ma gorge.
Le flic gare la voiture mais je n’ai plus franchement envie d’en sortir. Il descend, ouvre ma portière et m’attrape par le coude. La suite du trajet se fait à pied. Toujours menottée, je suis escortée par deux officiers le long d’un chemin en terre battue. J’en profite pour repérer un peu les lieux. Un imposant mur d’enceinte surplombé de fils barbelés nous coupe du monde. Au bout du chemin, la silhouette lugubre d’un bâtiment en béton se détache. Sur la droite, une cour grillagée enferme plusieurs dizaines d’hommes, jeunes pour la plupart, pieds nus dans la poussière. Ils s’agglutinent le long du grillage pour lorgner la curiosité qui débarque, cherchent mon regard sans toutefois oser m’interpeller. Des gardiens les surveillent de loin d’un œil menaçant, matraque à la ceinture. De l’autre côté sur ma gauche, un groupe patiente en file indienne devant un homme accroupi qui leur distribue de la nourriture. Une louche de bouillie rouge jetée dans un cul de bouteille en plastique, et au suivant. Mon estomac se noue à l’idée de prendre ici mon prochain repas. Mais je n’ai pas le temps d’y penser davantage car les policiers me poussent dans le dos pour que j’accélère le pas. Nous parvenons jusqu’à l’entrée du bâtiment, grimpons les trois marches en ciment du perron puis pénétrons à l’intérieur. Un halo verdâtre enveloppe la pièce. Verts les murs, vert le sol, verts les meubles, verts les gens, vert l’air qu’on respire. Je deviens verte moi aussi, sitôt entrée, saisie à la gorge par une puissante odeur d’égouts et de corps sales. Un épais comptoir de bois traverse le hall principal. Massif, on le croirait taillé d’un seul bloc, tout comme l’homme au guichet avec lequel mon escorte entame la discussion. Ce père fouettard doit bien faire dans les cent kilos. Derrière lui les longues étagères en bois sont vides, si ce n’est l’épaisse couche de poussière ocre qui recouvre les planches. Le seul objet que je remarque est un énorme registre. On me place dos au mur et on m’ordonne de ne pas bouger. Le temps passe. Des gardiens, en pantalon noir et chemise beige, matraques, menottes et clés à la ceinture, déambulent d’un couloir à l’autre. Ils sont gras, suants et effrayants. La seule femme de la bande ne détonne pas, bien que sa démarche boiteuse et son regard bigleux lui donnent un côté cartoon assez comique. Elle s’approche de moi, caresse une mèche de mes cheveux, et m’assène un gros sourire dégueulasse encore plus glaçant qu’un mauvais regard, avant que des détenus l’interpellent du fond du couloir. Elle repart en claudiquant comme une oie, les pieds en dedans et le pas saccadé. Je me penche discrètement pour essayer de voir les cellules, à gauche, puis à droite, sans parvenir à distinguer grand-chose hormis des enfilades de barreaux à la peinture écaillée. À intervalles réguliers des colonnes de détenus passent devant moi. Ils ont des mines patibulaires : menaçantes, hébétées ou brisées de fatigue. Ils sont sales, débraillés, pieds nus et beaucoup d’entre eux ont des cicatrices ou des plaies récentes sur le visage. Il y a des adolescents aussi. Slumdogs misérables qui passent et repassent une serpillière ou un balai à la main. Ils servent de larbins aux gardiens qui les sifflent et leur gueulent des ordres. Ils obéissent, tête penchée, comme de pauvres petits forçats. Sur le sol je remarque à plusieurs endroits des taches de sang frais. Des scénarios sordides me passent par la tête. Je me concentre pour ne pas paniquer et pour parer à toutes les éventualités. Au milieu de ma gueule déconfite deux pupilles s’allument, noires et brillantes. Mes poings se serrent, mes muscles se tendent, pour la première fois de ma vie je me prépare à me battre. Mes mains sont prêtes à taper n’importe où, n’importe comment, à s’agiter dans les airs, à se balancer de gauche à droite, comme elles le pourront. J’ai la sensation assez nouvelle de devoir défendre ma peau. Je ne sais pas du tout comment m’y prendre mais je taperai dans le tas s’il le faut. Pourtant pour l’heure il n’y a guère que mes pensées angoissées et quelques mouches opiniâtres qui m’assaillent. Est-ce que je perds déjà la boule ? Prisonnière depuis quelques heures et déjà en roue libre. La vraie bagarre a en fait lieu à l’intérieur de mon crâne, la peur et la raison se livrent un terrible round. Au loin j’entends des voix de femmes qui appellent. De temps en temps un gardien répond à leurs demandes, ici de l’eau, là du feu. Je suis terrorisée à l’idée de me retrouver en cellule avec elles. Je les imagine aussi effrayantes que leurs alter ego masculins. Je ne veux pas passer la nuit avec elles. Je préférerais encore être mise à l’isolement. Je veux parler à un avocat, à l’ambassade, à quelqu’un qui pourrait répondre à mes questions, m’expliquer ce qui m’arrive. Je suis tombée au fond d’un puits mais aucune mission sauvetage ne semble se mettre en branle pour me tirer de là.
Même les deux flics qui m’ont accompagnée me faussent compagnie. La paperasse remplie ils prennent congé du tenancier sans même me jeter un regard. Ils redescendent l’allée centrale, remontent dans leur voiture, repassent sous le fronton, roulent dans les rues de la ville, arrivent au commissariat, garent leur voiture, montent les escaliers, dévissent leur casquette, se recoiffent avec leurs mains, retirent leur uniforme, remettent au clou leurs menottes, allument une cigarette et rentrent à la maison. Je voudrais qu’ils m’emmènent. À la maison. Je voudrais être sur le canapé lovée entre leurs femmes et eux pendant que le repas mijote. À la maison. Je voudrais enfiler leur pyjama et me coucher dans leur lit douillet. À la maison. Je voudrais être n’importe où mais pas ici. Je ne veux pas rester. Je me sens comme une enfant abandonnée un premier jour d’école. Une école de film d’horreur. Le bureau du maître en face de moi est énorme, son cahier d’appel démesuré, et moi toute petite, de plus en plus petite, et déjà mise au coin. Mais au pied du mur il n’y a pas de trou de souris par lequel m’enfuir. L’ogresse boiteuse revient vers moi. Elle attrape mes poignets sans ménagement et les libère de leurs menottes. Puis ses doigts de géante se referment autour de mon biceps et elle me tire vers elle. Ça y est, elle m’emporte dans son antre pour me dévorer. Je panique, les battements de mon cœur s’accélèrent, mon ventre se tord, je suis à deux doigts de crier à l’aide. Mais finalement rien ne se passe, à peine quelques mètres plus loin elle dégaine son trousseau de clefs, ouvre une grille et me pousse à l’intérieur. Je découvre mon auberge pour la nuit. Elle est déjà pleine à craquer. Ici je ne sais pas si c’est bon signe. Dès que je pénèt
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- Une bande dessinée : le Coeur en braille, de Joris Chamblain, Pascal Ruter et Anne-Lise Nalin (éd. Dargaud) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21948894-le-coeur-en-braille-joris-chamblain-pascal-ruter-anne-lise-nalin-dargaud
- Un recueil de poésie : le Déversoir, poèmes minute, d'Arthur Teboul (éd. Seghers) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21717697-le-deversoir-poemes-minute-arthur-teboul-seghers
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